ANALYSES

La montée des périls en Afghanistan

Tribune
6 décembre 2010
Les mauvaises nouvelles viennent aussi des sources amies : il y a quelques jours, dans un rapport au Congrès, le Pentagone reconnaissait la ‘modestie’ de ses progrès, pudiquement jugés ‘inégaux’, dans la contre-insurrection. Quand on sait la langue de bois qui caractérise ce genre de littérature, et son sens de l’euphémisme, on frémit. Que signifie, par exemple, le constat que la violence atteint des ‘sommets’ inconnus dans ce pays, ou que les talibans et autres insurgés font preuve d’une surprenante ‘résilience’ et ont d’importantes capacités logistiques et organisationnelles ? Ou encore cette phrase : « #La force des talibans repose sur la façon dont les populations afghanes interprètent le prochain retrait des forces de la coalition, ce qui crédibilise la croyance qu’une victoire des talibans est inévitable. » Se joignant au concert, même l’amiral Mullen prédit une année ‘très difficile’ pour la coalition en 2011.

Quant au général Petraeus, il a largement obtenu l’augmentation d’effectifs qu’il demandait (avec les 80.000 nouveaux soldats arrivés depuis deux ans, il y maintenant 150.000 soldats de la coalition dont deux-tiers d’Américains). Pourtant, le champion de la stratégie de ‘contre-insurrection’ est plutôt pessimiste. Ses discours sur la méthode de l’anaconda qu’il compte appliquer sur place, n’ont guère rassuré ceux qui les ont compris. Il s’agirait, en somme, de compléter l’action purement militaire en ‘étouffant’ les irrécupérables et en les séparant des éléments sains de la population. Et cela en utilisant la pression politique, la diplomatie publique, le renseignement, l’aide à la population. Une idée qu’il défend depuis deux ans. Et dont on ne voit pas très bien ce qui la différencie de la fameuse méthode ‘globale’ DIME de l’Otan ( Diplomacy , Information , Military, Economic ) qui a échoué jusqu’à présent.

La révélation->http://www.nytimes.com/2010/11/23/world/asia/23kabul.html?_r=4] de l’imposture Mansour, n’a évidemment crédibilisé ni la politique afghane, ni les services de renseignements US. Mullah Akhtar Muhammad Mansour – un des dirigeants talibans importants, qui depuis quelques mois, semblait concrétiser le rêve fou de Kaboul, un chef rebelle qui accepte de négocier avec l’Otan à des conditions très raisonnables, n’était en fait qu’un escroc (il en aurait profité pour toucher une somme d’argent) ou un agent provocateur. Mais pas le vrai Mansour. Ou toute l’histoire serait-elle pure désinformation, comme le [prétend Karzai->http://www.haaretz.com/news/international/afghanistan-calls-reports-of-taliban-imposter-propaganda-1.326316] ? Dans tous les cas, le mythe de la négociation avec les ‘[talibans modérés‘ n’en sort pas grandi.

La réunion de Lisbonne de l’Otan a par ailleurs montré que la date de retrait d’Afghanistan pourrait bien être 2014 voire au-delà, et non 2011. Rappelons qu’à ce jour, l’Afghanistan est la plus longue guerre menée par les USA et que personne n’est rassuré par le fait que les messages contradictoires sur la fameuse date du départ ne cessent de se multiplier.

C’est seulement il y a quelques jours qu’a été proclamé le résultat des élections afghanes de septembre dernier, élections dont personne ne doute qu’elles aient été gravement entachées de fraudes. Il n’y a là rien qui aide à croire au transfert des missions de combat à un gouvernement solide et légitime, base sur laquelle est censée reposer la méthode.

La concordance de tous ces signaux suggère une hypothèse que l’on aurait crue démente il y a quelques années : les USA incapables de faire ce qu’avaient fait les Soviétiques au moment de leur retrait en avril 1989. Ces derniers avaient passé Najibullah (qui fut quand même président de 1987 à avril 1992) la patate chaude de la réconciliation nationale de façon à pouvoir se retirer sans perdre la face. Méthode Petraeus ou méthode Gorbatchev, laquelle peut le mieux retarder la catastrophe ?
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