ANALYSES

Ingérence militaire, votations, et « communauté internationale » : Haïti, premières réflexion sur un sinistre électoral

Tribune
29 novembre 2010
Port-au-Prince, la capitale, a été aplatie par un tremblement de terre le 12 janvier de cette année. Il y a eu on s’en souvient 200 000 victimes. Un ouragan est venu bousculer en septembre le million de survivants qui vivent toujours sous la tente. Ils y étaient encore d’ailleurs fin novembre. Et, depuis octobre, le choléra a fait son apparition. Le nombre de morts dépasse largement le millier. Et celui des personnes affectées plusieurs dizaines de milliers. Les Haïtiens donc, pour beaucoup sans abri, presque tous sans travail, angoissés par la peur de la maladie, réduits à une forme de survie conditionnée par la charité internationale, ont donc été invités à remplir un paradoxal devoir électoral.

Le recours au vote, est la potion magique du village global. Ce village, on le sait, depuis l’effondrement de l’URSS, longtemps partenaire du monde libre, a pour nom, « communauté internationale ». Son périmètre varie selon les circonstances. Ici, en Asie, en Afghanistan, il s’agit de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord. Là en Haïti, de l’Organisation des Etats Américains et des Nations Unies. La diplomatie nucléaire de la guerre froide, reposait sur une éthique élémentaire, éviter le feu atomique. Tout le reste, démocratie, droits de l’homme, droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, relevaient de l’accessoire. L’écroulement du mur de Berlin en 1989 a désigné un vainqueur, les Etats-Unis. L’évènement a libéré sous couvert de morale internationale un vieux discours civilisateur légitimant le droit de conquête. Le vieux Roosevelt, Théodore, auteur d’une ineffable théorie de l’ingérence unilatérale au nom de l’éthique, en 1904, a été redécouvert par ses lointains successeurs à la Maison Blanche. Le droit du vainqueur n’est-il pas de toute éternité, le droit ? Dés le mois de décembre 1989, un mois après la chute du mur, George Bush père, lançait ses légions aux trousses de Manuel Noriega, satrape qui alors gouvernait Panama, sous la bannière, cela a sans doute été oublié aujourd’hui, d’une « Juste cause », nom dont avait été affublée cette opération canonnière.

Les « grands » medias comme on dit, medias globaux, ainsi que la machine hollywoodienne, qui est supposée faire rêver le monde, ont depuis ajouté leur grain de sel. L’émotion télévisuelle ayant pris le pas sur la raison en plein papier Gutenberg, la téléréalité a imposé sa mise en scène sur les affaires du monde. Larmes, cris, sang, si possible portés par des personnages « crevant l’écran », résument désormais pour le citoyen lambda la marche du monde. La guerre interne colombienne est résumée et portée par Ingrid Betancourt, « Jeanne d’Arc des Andes ». La dictature birmane et ses élections truquées, c’est l’histoire d’une Dame exemplaire Aung San Suu Kyi. Dans le sillage de cet étonnant retour, pardon flash back , du culte de la personnalité remis au goût du jour par les médias occidentaux a surgi l’émotion collective, l’humanitaire, forme moderne de la charité. Pendant quelques semaines d’intensité dramatique, une famine, un raz de marée, un tremblement de terre, font sauter l’audimat, stimulent les téléthons internationaux, et légitiment l’intervention des puissances, pompiers tutélaires des malheurs du monde. Bien sûr l’audimat engrangé, les crises locales réglées ou du moins circonscrites, les « Grands » se trouvent bien embarrassés, comme le corbeau de la fable. Que faire par exemple de cette Haïti, partiellement détruite par un tremblement de terre, et toujours impossible à remettre debout, en dépit d’une vigoureuse agitation médiatique et humanitaire fin janvier et début février 2010 ?

Et bien comme en Afghanistan, la solution CQFD, est dans l’élection. Tout problème n’est ce pas en démocratie, aux Etats-Unis, en France, comme au Canada, ne trouve-t-il pas sa solution dans le recours au vote ? Les citoyens haïtiens ont donc été invités à choisir leurs chefs. Pour leur donner ainsi un adoubement légitimateur. Qui permet à ceux qui étaient accouru au chevet du pays malade, de se défausser sur les nouvelles autorités, maintenant responsables, de leur confier les « commandes » , et ainsi de partir avec la conscience démocratique pour soi. Ce qui a conduit certains Haïtiens à considérer que les élections de novembre-décembre 2010-et janvier, février 2011 constituaient une calamité supplémentaire venue s’ajouter aux autres. Les intervenants étatiques, médiatiques et humanitaires, ayant débarqué en Haïti, fin janvier 2010 ont rapidement mesuré que non seulement beaucoup était à reconstruire, mais que tout était à construire. Distribuer des bouteilles d’eau potable après un tremblement de terre est une chose. Mais être condamné par le choléra à en distribuer pendant des années, parce qu’il n’y a pas de réseaux dignes de ce nom, pas plus que d’administration en mesure d’organiser la vie commune, place les humanitaires associatifs et les ingérents étatiques face à un dilemme. Celui du mal et même du sous-développement. Qui appelle autre chose que la charité ponctuelle et les démonstrations de force militaire et médiatique. La solution privilégiée pour trouver une sortie éthique comme politiquement élégante à tous les ingérents a donc été de mobiliser moyens financiers, matériels et humains pour organiser une élection remettant, sans doute provisoirement, le schmilblick haïtien aux mains d’ « élites », dont on peut dire que depuis le rétablissement de la démocratie en 1986, elles n’ont à aucun moment été en mesure de matérialiser les aspirations populaires, au travail, à la santé et au logement.

Les candidats principaux ont dépensé des milliers d’Euros en affiches, tracts, avions publicitaires, sondages, pour inciter au vote une population en attente de soins, de toit, et d’eau potable… Pour finalement protester collectivement, du moins douze d’entre eux, contre les déficiences de l’organisation du scrutin et la fraude. Pourtant quelques jours avant le vote, le directeur du registre électoral haïtien, avait prévenu : « Je crains », avait-il déclaré publiquement, et dans l’indifférence générale, « des fraudes partout. Je ne suis pas sûr que les 33 000 membres des bureaux de vote soient intègres dans un pays qui est pauvre ». Effectivement …