ANALYSES

Renforcement de la coopération franco-britannique, une bonne et une mauvaise nouvelle

Tribune
2 novembre 2010
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS
Ce sommet et les mesures qui seront annoncées sont à la fois une bonne nouvelle pour les capacités militaires des deux pays, et une mauvaise nouvelle pour le développement de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PeSDC) nouveau nom de la PESD depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.

La France et le Royaume-Uni avaient décidé, en 1998 avec la déclaration finale du Sommet de Saint-Malo, de proposer aux partenaires européens de doter l’Union de « capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ». Il s’agissait alors pour le Royaume-Uni d’une décision historique et pour la France d’une franche victoire diplomatique. Pour la première fois les Britanniques acceptaient de voir l’Union se doter de forces autonomes, en vue de missions pour lesquelles l’OTAN ne serait engagée, reconnaissant ainsi que l’UE pouvait et devait jouer un rôle autonome sur la scène internationale en matière de défense. Ce sommet clôturait également la longue divergence historique des politiques de défense des deux pays, débutée dans la foulée de la crise de Suez en 1956.

Douze ans après Saint-Malo, la situation a radicalement évolué. L’Union s’est effectivement dotée d’une PeSDC, ayant déjà fait ses preuves sur le terrain avec plus de 20 missions civiles ou militaires, mit en place une approche globale pour la gestion de crise, et a désormais des institutions censées améliorer l’efficacité des capacités militaires européennes comme l’Agence Européenne de Défense.

De leur côté, les deux principales puissances militaires de l’Union ont effectué une série d’inflexions à leur posture de défense. La France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a accepté de réintégrer le commandement militaire intégré de l’OTAN en demandant en échange un renforcement de la PESD qui ne n’est jamais réalisé. Le Royaume-Uni, échaudé par les expériences en Irak et en Afghanistan, s’interroge sur le bien-fondé de certains choix de la décennie qui vient de s’écouler. Les deux États font face aux effets de la crise financière et économique, qui a mis à mal les budgets publics, au point de devoir effectuer une fois de plus des sombres coupes dans les budgets militaires.

Les deux États prennent probablement enfin conscience que leur poids relatif sur la scène internationale n’a cessé de diminuer depuis la fin de la guerre froide et que l’OTAN vit une crise sans précédent en raison de son enlisement en Afghanistan. De plus, les États-Unis se désengagent de plus en plus de la sécurité européenne, alors que les nouvelles menaces assombrissent l’avenir européen, et qu’une décennie d’opérations coûteuses en vie humaine et en ressources budgétaires n’ont en rien rendu l’Europe un endroit à l’abri de la menace terroriste.

Ainsi, la France et le Royaume-Uni vont enfin prendre acte de la nécessité de coopérer plus, de mettre en commun des ressources. Depuis plusieurs années déjà, une grande partie de la communauté scientifique travaillant sur les questions de défense et armement invite les gouvernements européens à mettre de côté les égoïsmes nationaux et à procéder à la mise en place d’une stratégie de mutualisation et partage des capacités qui permettrait d’améliorer l’efficacité de la dépense militaire, les capacités de défense, et au final, de mieux assurer la sécurité des citoyens européens à budget égal si ce n’est moindre. En effet, les États membres de l’UE ont dépensé pour leur défense 200 milliards d’euros en 2008, soit le deuxième budget au monde après celui américain. Ces 200 milliards donnent lieu à une infinité de redondances en raison du manque de coopération, du morcellement des bases industrielles nationales, de la non-harmonisation des stratégies d’acquisition. En résumé, on pourrait dire que pour un grand nombre d’équipements, on répète 27 fois les procédures, les budgets de recherche, les coûts.

Par conséquent, la décision de mener entre France et Royaume-Uni des entraînements conjoints, un renforcement de la coopération bilatérale pour l’acquisition d’équipements et de technologies, de l’inter-opérabilité, de l’échange d’informations, ne peut qu’être saluée favorablement comme une décision susceptible d’améliorer l’efficacité de la dépense.

Cependant, cette décision aurait dû être ancrée solidement dans le cadre européen. Il faut espérer que les dirigeants franco-britanniques auront la lucidité d’affirmer que si la coopération dans le domaine des armements est sans doute plus simple entre puissances militaires ayant l’habitude de gérer des programmes complexes, et de gérer le spectre complet des capacités nécessaires pour mener des conflits de haute intensité, il serait préjudiciable d’exclure a priori tout élargissement de cette coopération à l’ensemble des 27 États membres de l’UE (1). De surcroît, le Traité de Lisbonne offre des instruments pour institutionnaliser cette coopération à travers les dispositions traitant de la Coopération Structurée Permanente (2). Bien entendu, aucune avancée majeure dans le domaine de l’intégration européenne n’a jamais été simple, mais le rôle des pays leaders est justement celui de tracer le chemin.

La vraie nouveauté politique de ce Sommet semble être le revirement de la politique de défense française. Sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, certains postulats de cette politique (autonomie stratégique, spécificité à l’intérieur de l’OTAN, développement de l’Europe de la défense) ont été balayés progressivement. Malheureusement, cette inflexion ne semble pas avoir donné les fruits espérés. Si la normalisation des relations avec l’OTAN a permis un rapprochement avec un certain nombre de pays craignant une tentation hégémoniste de la part de Paris, elle ne semble pas pour autant augmenter le poids français dans l’Alliance, notamment en ce qui concerne la gestion et la stratégie de la mission ISAF en Afghanistan. Le développement des relations bilatérales franco-britanniques à l’extérieur des institutions européennes marque également un alignement de la France sur la position britannique. Cependant, il paraît évident que l’Union Européenne est la seule institution légitime, en dehors de l’Organisation des Nations Unies, pour mener des missions militaires de maintien de la paix dans des foyers de crise dans lesquels les Etats-Unis ou l’OTAN ne peuvent ou ne veulent intervenir, et où une intervention nationale relancerait les accusations de néo-colonialisme. De surcroît, cette inflexion intervient dans une phase particulièrement favorable au renforcement de la PeSDC, avec l’intérêt nouveau qui portent les pays d’Europe centrale et orientale à cette politique, avec la forte impulsion du trio de présidence tournante de l’Union (Belgique, Hongrie, Pologne) et alors que les nouvelles institutions de l’Union (Haut-représentant, Service Européen d’Action Extérieure) commencent à prendre leurs marques. Comme si la lenteur du processus d’intégration européenne ne convenait pas à l’activisme du Président Sarkozy, au risque de répéter l’erreur historique de la mise au pilori par l’Assemblée Nationale française de la Communauté Européenne de Défense en 1954.

En conclusion, si, comme ce fût le cas pour le sommet de Saint Malo, cet accord franco-britannique n’est que le prélude de la mise en place d’une stratégie européenne de coopération dans le domaine des armements, ce sommet sera, à bien des égards, historique. A contrario, si la France et le Royaume-Uni décident d’augmenter leur coopération sous la pression de la réduction de leur budget de défense, une autre occasion de renforcer une politique soutenue par la quasi-totalité des opinions publiques européennes, et seule capable de renforcer le rôle de l’UE sur la scène mondiale, face à l’émergence de nouvelles puissances et de nouvelles menaces, une autre bonne occasion aura été perdue.


(1)Dans le cas de la PeSDC, il faut spécifier que seuls 26 États membres participent activement à cette politique, le Danemark ayant demandé et obtenu un opt-out suite à leur difficile ratification du Traité de Maastricht.
(2) Voir à ce sujet les articles de Sven Biscop et Joe Coelmont, dont « In defence of the obvious »
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