ANALYSES

France et Amérique Latine : Fausses notes au dernier G-20, révélatrices de malentendus persistants

Tribune
30 juin 2010
Pourtant le dernier G-20, organisé au Canada à Toronto a été marqué par un double incident avec la France, épinglé par la presse latino-américaine, l’un avec l’Argentine et l’autre avec la Colombie. Le silence médiatique en France sur ces bisbilles diplomatiques est quelque part révélateur d’une difficulté croissante à communiquer des deux côtés de l’Atlantique. L’une et l’autre de ces querelles loin d’être exceptionnelles, manifestent la perpétuation depuis quelques années d’une incapacité à bâtir des coopérations solides faute de compréhension mutuelle. Le monde bouge, beaucoup depuis le début des années 1990. La France et les pays d’Amérique latine n’occupent plus la même place et ne jouent plus les mêmes rôles. Les partitions ont été mises à jour outre atlantique. Alors qu’elles restent très ancrées dans le passé côté français.

Que s’est-il passé à Toronto ? Que s’est-il dit entre Nicolas Sarkozy et Alvaro Uribe, Nicolas Sarkozy et Cristina Kirchner ?

Le Colombien Uribe, invité surprise des Canadiens à ce sommet, avait dès avant son départ à Bogota, signalé haut et fort qu’il entendait rappeler son collègue français à ses devoirs sécuritaires. « Je vais lui rappeler, a-t-il déclaré avant son départ, qu’il y a trois ans, à peine élu, il m’a demandé de relâcher un chef des FARC. Il m’a dit qu’il s’agissait d’une raison d’Etat et qu’il avait pris des engagements auprès de l’opinion française concernant Ingrid Betancourt. J’ai relâché Ricardo Granda. Il ne m’a pas dit ce qu’il avait derrière la tête avec cette libération. Moi je lui ai simplement signalé que j’espérais que cela serve à libérer non seulement Ingrid Betancourt, mais aussi les soldats, les députés, la secrétaire d’Ingrid Betancourt Clara Rojas et son enfant, et trois Américains. Trois ans plus tard tous ont été libérés .. par l’armée colombienne, en 2008. Et Ricardo Granda loin d’abandonner les armes, loin d’accepter un échange humanitaire, a repris du service dans les FARC. M. Sarkozy aidez-moi à le recapturer » , lui a-t-il dit à Toronto. Le message a sans doute été entendu. A-t-il été écouté ? Il manifeste en tous les cas la grande contrariété du chef de l’Etat colombien. Contrariété paradoxale entre deux présidents attachés aux lois sécuritaires, mais dont l’un, le Français, a poussé l’autre le Colombien à s’en détacher, pour jouer un coup de poker médiatique et humanitaire tombé à plat.

L’Argentine Cristina Kirchner, elle aussi a manifestement une dent contre la France et son président. Elle l’a dit sur place à Toronto aux journalistes qui ont bien voulu l’écouter. La presse française n’en ayant soufflé mot, son ministre des Affaires étrangères, Héctor Timerman, a remis une couche de sel sur les plaies bilatérales dés son arrivée à Buenos Aires. Faute de réaction officielle française on ne peut que constater le sinistre bilatéral. La présidente Cristina Kirchner a, selon ses propos, mal vécu l’interpellation de son homologue français concernant sa méconnaissance supposée des pressions exercées sur l’euro. Elle a rejeté la critique parce qu’elle la considère infondée, l’Argentine ayant une expérience dramatique des effets de ce type de pressions sur sa monnaie. Mais aussi parce que l’Argentine et sa banque nationale détiennent des euros alors que la banque de France, selon ses propos, n’a pas de pesos dans ses réserves. Elle a signalé aussi avoir regretté d’être ainsi interpellée devant les autres chefs de délégation. Cette attitude est à ses yeux insolite. Elle s’est toujours interdit un tel comportement. Elle ne l’avait jamais constaté jusque là. Hector Timerman, son ministre des affaires étrangères, a ajouté un complément plus polémique. « L’Argentine a-t-il déclaré refuse le recours aux plans d’ajustement pour régler les problèmes de dette publique. Ce type de plan pèse en effet sur les populations. L’Argentine recommande à la Grèce de recourir comme elle l’a fait, à la renégociation pour obtenir une restructuration de sa dette. Si le président français est contre, a-t-il conclu de façon peu diplomatique, c’est que les banques françaises sont les principales créditrices de la Grèce. »

Ce double incident avec les responsables de deux puissances moyennes d’Amérique latine interpelle d’autant plus qu’il n’est pas isolé. Il vient après beaucoup d’autres. La reprise des essais nucléaires français peu après l’élection de Jacques Chirac à la présidence de la République en 1995 avait provoqué une vague de protestations continentales, de la part des gouvernements latino-américains comme de l’opinion. Le cyclone Mitch qui avait dévasté l’Amérique centrale en 1998 avait donné l’image d’une France plus solidaire, le Président Chirac était allé sur place. Mais très vite les choses avaient repris un cours, brouillant les acquis diplomatiques du passé gaulliste et mitterrandien marqueur traditionnel de la France en Amérique latine. L’Amérique latine est devenue l’un des terrains de chasse de la démocratie d’opinion à la française. Les otages politiques et détenus français d’Amérique latine médiatisés par la télévision et la presse potin, de Colombie au Mexique, ont suscité un interventionnisme public passant au dessus des Etats et des gouvernements locaux. On se rappelle l’expédition barbouzarde, engagée au Brésil en 2002 à propos d’Ingrid Betancourt. Terminée en fiasco elle avait particulièrement irritée le Brésil qui avait exigé et obtenu des excuses publiques. Quelques années plus tard à peine élu, en mai 2007, Nicolas Sarkozy avait exercé de fortes pressions sur son homologue colombien, Alvaro Uribe, afin qu’il libère un chef de la guérilla des FARC. Ce qu’il fera tout en signalant son incompréhension. Ingrid Betancourt sera libérée par l’armée colombienne l’année suivante. Quant au chef de la guérilla ainsi libéré, il court toujours. Quelques mois plus tard après un déplacement officiel du Chef de l’Etat français au Mexique, pays émergent et douzième puissance économique du monde, est annulé au dernier moment. Le président français annule également sa présence au sommet Amérique latine-Union européenne de Lima. Mais il remet dans son agenda un déplacement au Mexique après la montée en puissance médiatique d’une affaire concernant la détention d’une jeune française. Le voyage excessivement marqué par cette obsession médiatique se termine en queue de poisson. Le dossier de cette personne est définitivement bloqué par les autorités. La presse mexicaine fait une couverture critique du déplacement présidentiel français. Le rapprochement attendu et les coopérations entre la France, puissance moyenne et le Mexique puissance montante, est remis à des jours meilleurs.

Cette incompréhension perlée depuis une dizaine d’années est allée de pair avec la prise de conscience d’un déclassement de la France. La France après un bref retour à ses traditions en 2002-2003 quand elle a refusé de s’engager militairement en Irak, a perdu beaucoup de son originalité. Elle s’est intégrée dans l’OTAN et apparaît comme un allié certes important, mais subordonné aux Etats-Unis. Mieux vaut donc s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints en a-t-on conclu au-delà du Rio Bravo. Economiquement elle a perdu une part appréciable de son intérêt. Les Asiatiques, Chinois, Indiens, Coréens, Japonais, ont offert ces dernières années des options confortées par la présence active et régulière de leurs dirigeants. Le président français en revanche a fait l’impasse sur les rencontres de travail avec l’Amérique latine, privilégiant les raids médiatiques en prise sur l’opinion française. Alvaro Uribe et Cristina Kirchner ont intégré ces évolutions. Le double incident de Toronto a spectaculairement manifesté la prise de conscience d’un changement d’époque, celui de la perte d’un capital d’influence de la France en Amérique latine, couplé sur celle d’un déclassement diplomatique et économique. Le Brésil, dira-t-on, et la France entretiennent d’excellents rapports. Certes. Mais à y regarder de près, l’échange est de plus en plus inégal. Le Brésil fait ses courses en France, diplomatiques et militaires, comme il en fait d’autres avec l’Italie et le Nigéria. La France n’est pas dans cette relation, le chef d’orchestre.