ANALYSES

Sortir de l’impasse de la dette publique. Aux grands maux les grands remèdes.

Tribune
7 juin 2010
Par Jean-Etienne Carlotti, EMLV et Université de Paris-Sud 11
Concernant le décrochage de l’euro, il faut dire que le porte-parole du Premier ministre hongrois a été on ne peut plus clair, déclarant que : « En Hongrie, le précédent Gouvernement a falsifié les chiffres. En Grèce, ils avaient aussi falsifié les chiffres. En Grèce, le moment de vérité est arrivé. La Hongrie est juste avant cela ». La Banque centrale hongroise, consciente des conséquences de ce type de déclarations sur le cours de la monnaie – rappelons que la Hongrie souffre toujours d’inflation (+4.2% en 2009 malgré un recul de la croissance de 6.3% et autant en 2010) -, s’est empressée de rassurer les marchés sur la crédibilité du budget hongrois mais comme toute Banque centrale responsable, a rappelé en même temps la vulnérabilité de la Hongrie aux différents chocs, vulnérabilité due entre autres à son niveau de dette élevée.

L’inquiétant niveau de la dette prend donc encore davantage de place dans le « sentiment de marché », et concernant les pays européens, ce « sentiment » est celui d’une impasse.

Il y a en effet des signes qui ne trompent pas. La note de la dette de l’Espagne a été abaissée ce vendredi 28 mai 2010 par l’agence de notation Fitch. Cela n’est bien sûr pas une nouveauté qu’un pays de la zone euro subisse une dégradation de la note de sa dette puisque cela s’était récemment produit pour la Grèce et le Portugal avec l’argument de l’insoutenabilité de la hausse des déficits publics. Face à cette insoutenabilité, la recommandation naturelle était donc la conduite de politiques budgétaires restrictives afin de pouvoir relativement contrôler l’accroissement des déficits publics et donc in fine de la dette publique. Ce qui est nouveau dans le cas de l’Espagne est l’argumentaire avancé qui explique que « l’abaissement reflète l’opinion de Fitch selon laquelle le processus d’ajustement à un niveau plus bas d’endettement … va nettement réduire le taux de croissance de l’économie espagnole à moyen terme ». La logique de l’argumentaire vient donc de s’inverser avec le cas espagnol. Certes, concernant les finances publiques, le cas de l’Espagne est quelque peu différent de celui de la Grèce ou du Portugal puisque le solde public était en excédent durant les trois années précédant la crise de 2008 alors qu’il était structurellement déficitaire en Grèce et au Portugal. De même, au niveau de la dette publique, la dette espagnole exprimée en pourcentage du PIB (53.2% en 2009 contre 115.1% et 76.8% respectivement pour la Grèce et le Portugal) reste parmi les plus bas de la zone euro. Il n’empêche que l’argumentaire est quand même bien là et il révèle l’impasse de la situation actuelle dans nombre de pays de la zone euro. Cet argumentaire, apparemment paradoxal et en contradiction avec les précédents, ne l’est en fait pas du tout.

En effet, fondamentalement, le but de toute politique économique est d’être contra-cyclique. Concernant la politique budgétaire, cela signifie que la hausse des dépenses publiques dans les périodes de ralentissement économique sert à limiter ce ralentissement et que la baisse de ces mêmes dépenses publiques dans les périodes de forte croissance (au-dessus du niveau de croissance potentielle) sert à limiter les pressions inflationnistes et aussi à assainir les finances publiques. Une réduction des dépenses publiques dans une période de ralentissement économique est donc naturellement pro-cyclique et le communiqué de Fitch ne fait qu’exposer cet argument.

Voilà l’impasse et chaque pays se doit de raisonner en termes de coûts-opportunités selon, entre autres, la notation de sa dette qui exprime elle-même une probabilité de défaut. Les pays dont la note a été abaissée se retrouvent dans la quasi-obligation d’adopter des mesures d’austérité théoriquement pro-cycliques.

Sortir de cette impasse sera extrêmement difficile. La politique monétaire est depuis longtemps plus qu’accommodante et la Banque Centrale Européenne mène quant à elle depuis plus de deux ans des politiques non conventionnelles, la dernière en date étant de procéder elle-même à des rachats de dette publique. Cette solution a le mérite de maintenir un caractère contra-cyclique à la politique monétaire, en évitant une très forte tension sur les taux d’intérêt de la dette souveraine. Elle a également le mérite de donner quelques bouffées d’oxygène à la politique budgétaire mais ne règle en rien le problème structurel, au contraire diront certains. Axel Weber, membre du Conseil des gouverneurs de la BCE, a estimé lundi 31 mai que cette politique constituait un risque pour la stabilité des prix. Il a théoriquement raison même si, en regard du faible taux d’utilisation des capacités de production, nous nous trouvons encore très loin d’éventuelles pressions inflationnistes. Mais ce risque inflationniste de la monétisation de la dette n’est-il pas la solution de la sortie de l’impasse ? Monétisation et inflation sont des recettes éprouvées, notamment après la seconde guerre mondiale. Il y a fort à parier que ce sera finalement le choix de nombre de gouvernements. Après tout, il y a unanimité pour reconnaître que nous nous trouvons dans la pire crise économique depuis la même seconde guerre mondiale. L’empressement des Etats-Unis à vouloir sauver le soldat euro semble montrer que c’est son choix. En effet, la débandade actuelle de l’euro contrarie leurs plans de dépréciation du dollar, dépréciation étant censée induire de l’inflation qui érodera la dette. Il ne serait donc pas étonnant que cette solution qui a déjà fait ses preuves soit à nouveau mise en œuvre. Et les politiques monétaires non conventionnelles menées par les plus grandes Banques centrales du monde montrent que c’est peut-être cette solution qui a déjà été choisie.
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