ANALYSES

Iran : le débat politique se déplace vers l’économie

Tribune
26 avril 2010
En fait, les tensions politiques internes restent énormes en Iran. Une grande partie des cadres dans le secteur public est démotivée du fait de l’absence de perspectives politiques. Par ailleurs, il est clair que la relativement faible mobilisation des partisans de Moussavi lors de la journée de la mobilisation était surtout le résultat de l’ampleur du dispositif répressif mis en place mais le mécontentement initial reste très fort et largement répandu dans la population. En fait, il semble que l’on soit rentré dans une nouvelle phase dans la lutte politique interne iranienne avec un déplacement du « combat » sur le champ économique. Le mouvement « vert » a ainsi commencé à très fortement critiquer la politique économique du gouvernement actuel. Cette stratégie a probablement pour objectif d’élargir la base de soutien de ce mouvement en attirant la classe ouvrière, qui était pour l’instant restée relativement à l’écart du mouvement (et n’avait notamment déclenché aucune grève de soutien). Mais on constate également que les conservateurs « modérés » majoritaires au parlement, ont, sous la direction du Chef du parlement, Ali Laridjani lancé une attaque en règle contre la politique économique d’Ahmadinejad.

Il est vrai que la situation économique est peu brillante. La croissance a très fortement ralenti passant de 7,8 % en 2007 à +2,5 % en 2008 et devrait rester proche de 2 % en 2009 (source : FMI). Le taux de chômage est officiellement passé de 9 % en 2007 à 11 % en 2009 (24,1 % pour les 15-24 ans). L’inflation, qui avait atteint 25 % en 2008, a officiellement reculé jusqu’à 10 % début 2010. Cependant, il existe d’énormes doutes quant à la fiabilité de ces chiffres et la perception de la population est clairement que la hausse des prix reste très élevée. Au total, l’impact de la crise financière a été plus fort que dans le reste du Golfe Persique (les Emirats Arabes Unis exceptés) car l’économie iranienne a dû en 2008 mener une politique économique très restrictive pour lutter contre l’inflation élevée de l’époque. Cependant, il est faux de dire que l’économie iranienne est aux abois. Certes, l’excédent courant a reculé du fait notamment de la chute du prix du pétrole depuis l’été 2008, atteignant 1 milliard de dollars au premier trimestre 2009 contre 12,7 un an auparavant. Mais, la dette extérieure reste faible à près de 10 % du PIB et surtout, les réserves en devises représentent près de 80 milliards de dollars, soit près de 17 mois d’importations.

Outre ces résultats économiques mitigés, les critiques ont également porté, ces derniers mois, sur des questions de politique économique. Le parlement a tout d’abord remis en cause un certain nombre d’opérations de privatisations. Ainsi, la privatisation de la Telecomunication Company of Iran dont 50% du capital a été vendu aux Pasdarans, a été remise en cause par le Parlement (notamment son centre de recherche dirigé par le très influent Ahmad Tavkoli) du fait du monopole qu’il donnerait aux Pasdarans. A la surprise générale, ce dossier a été transmis au Conseil de la Concurrence, institution, il est vrai, bien inoffensive jusqu’à aujourd’hui. Mais surtout, une énorme bataille a commencé avec le Parlement à l’occasion de l’annonce par le gouvernement, dans son projet de budget pour 2010/2011 de la suppression des subventions (eau, électricité, essence, gaz, etc.). Le Parlement voudrait que cette suppression s’étale sur 5 ans du fait de ses possibles conséquences inflationnistes alors que le gouvernement voudrait que cette réforme dure 3 ans. Par ailleurs, le Parlement critique le fait que le gouvernement puisse, sans contrôles, distribuer aux classes les plus défavorisées 50 % des économies ainsi réalisées. En effet, il n’existe pas de statistiques fiables en matière de répartition des revenus en Iran. On peut donc se demander qui va recevoir ces versements et beaucoup soupçonnent le gouvernement de suivre dans ce dossier une ligne très clientéliste. On peut noter que cette affaire reflète bien l’absence totale de ligne directrice chez Ahmadinejad. Ce dernier n’avait pas eu de mots assez durs pour critiquer le capitalisme depuis qu’il est au pouvoir. Or, il applique maintenant une politique économique que l’on dirait tout droit sortie du consensus de Washington ! Cette question de la suppression des subventions a donc envahi le champ politique. Les conservateurs modérés sont inquiets des conséquences inflationnistes d’une telle politique alors que les « verts » espèrent sans doute que cette mesure conduira à des mouvements de protestation qui pourraient relancer leur mouvement.

C’est dans ce contexte que les pays occidentaux réfléchissent à de nouvelles sanctions économiques contre l’Iran. Même si de telles mesures coercitives aggraveront les difficultés de l’économie iranienne, il est peu probable qu’elles puissent faire changer d’avis le gouvernement iranien. Ce dernier est faiblement endetté et dispose de réserves en devises importantes. En outre, le prix du pétrole est en train de se redresser du fait de la sortie progressive de la crise financière mondiale. D’autre part, l’existence de banques privées (une loi vient d’ailleurs d’être votée limitant à 10 % la participation d’un actionnaire dans une banque) pourrait aussi permettre d’utiliser ce réseau si les banques publiques sont sanctionnées.

PS : à l’heure où la crise nucléaire iranienne est sans doute l’un des principaux sujets de discussion sur la planète, il a été décidé de supprimer la diffusion en direct du programme radio en persan de RFI. A la place, on peut écouter différents « sujets » en accédant au site Internet correspondant. Mais cela ne peut être comparé à un programme d’une heure diffusé à la radio et accessible sur Internet. Ce programme remarquable était très écouté en Iran et en France par la communauté iranienne. Il fournissait une information objective et précise sur la situation en Iran. Pourquoi le supprimer alors que la BBC et Voice of America diffusent eux des programmes TV en persan ?