ANALYSES

Le Soudan : au-delà des élections jouées d’avance, des enjeux stratégiques

Tribune
12 avril 2010
Les élections présidentielles, législatives et régionales des 11-12 avril sont un enjeu essentiel étant les premières élections depuis 1986 et constituant la clé de voûte des accords de paix signés en 2005 entre les ex-rebelles du Sud et le gouvernement de Khartoum. Ces élections ont lieu alors que les principaux candidats d’opposition – notamment Yasser Amam, originaire du Sud et membre du SPLM (mouvement politique de libération du Soudan), et l’UMMA (parti nordiste) – les boycottent. Officiellement, la raison du boycott tient à la non-garantie des conditions normales de vote. Aussi, Omar El-Bechir sera réélu malgré une certaine perte de légitimité liée à sa condamnation par la Cour pénale internationale. Deux enjeux majeurs demeurent au-delà de ces élections.

Le premier enjeu est celui de la fin de la guerre du Darfour. Le président Omar El-Bechir s’est engagé à redéployer une partie des ressources vers les zones les plus déshéritées et à réduire les écarts entre l’opulence de Khartoum et la misère des zones de l’Ouest. Après 7 ans de conflits entre le Tchad et le Soudan, un accord de normalisation avait eu lieu entre ces deux pays le 15 janvier 2010, prévoyant la fin des soutiens aux rebelles des deux côtés de la frontière, et un accord sur la sécurité a été signé début février. Une force militaire commune est prévue. Verra-ton la fin des rizzous raids permanents, et la paix au Darfour ? Idriss Deby a en tous les cas intérêt à limiter le rôle du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) de Khalil Ibrahim, principal opposant du gouvernement soudanais, en prévision des élections tchadiennes législatives de 2010 et présidentielles de 2011. Omar El-Bechir avait, quant à lui, également intérêt à normaliser ses relations avec le Tchad avant les élections présidentielles d’avril 2010, en vue des risques liés au référendum prévu en janvier 2011 sur l’autodétermination du Sud.

Les Etats-Unis et la Chine se sont mis d’accord à propos du Darfour. Mais toutes les cartes ne sont pas nécessairement dans les mains d’Idriss Deby et d’Omar El-Bechir. Jusqu’à quel point le principal mouvement armé du Darfour le Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) de Khalil Ibrahim est-il prêt à faire la paix avec le pouvoir soudanais ? Il est en effet l’élément pivot dans le conflit par procuration que se livrent, depuis 2003, le Soudan et le Tchad. Ses troupes étaient arrivées en 2008 aux portes de Khartoum. Le JEM a accepté le 22 février 2010 d’ouvrir le négociations. L’armée soudanaise a par ailleurs mené en février 2010 des actions contre l’autre chef rebelle, Abdel Wahid Al-Nour ex-président de l’Armée de libération du Soudan (SLA). Les rebelles ne sont pas sous contrôle et les solidarités sociales ou ethniques sont fortes, échappant aux deux Chefs d’Etat.

Le second enjeu est celui du devenir du Sud-Soudan après le référendum d’auto-détermination prévu en janvier 2011. Celui-ci avait été décidé lors de l’accord de paix de 2005. Un accord avait eu lieu le 13 décembre 2009 entre le Congrès national, parti au pouvoir et le Mouvement populaire de libération du Soudan, en vue des élections d’avril 2010. Mais ce mouvement, en boycottant les élections, a vraisemblablement choisi de privilégier aux élections le référendum devant conduire à l’indépendance. Les enjeux demeurent ceux de la répartition des richesses agricoles et pétrolières alors que le Sud dispose de l’essentiel des ressources pétrolières. Une situation durable de paix n’est possible que si un accord concernant l’affectation des ressources est accepté par le Nord.

Derrière ces deux enjeux au Sud et à l’Ouest du Soudan, se distingue également la rivalité entre les grandes puissances, notamment la Chine et les Etats-Unis. La question des pipe lines actuels vers Port Soudan ou prévu vers le Kenya, est au cœur des rivalités des grandes puissances comme l’a été le pipeline entre Doba et Kribi. Malgré sa condamnation par la CPI, Omar El-Bechir peut apparaître à leurs yeux comme un rempart vis-à-vis de islamisme radical.

Sans doute, le Soudan demeure un des enjeux majeurs du devenir de l’Afrique.