ANALYSES

« Le pouvoir ne se partage pas »

Tribune
17 mars 2010
En réalité les dissensions entre l’ex-chef de la police et le ministre de l’Intérieur sont anciennes. Leurs divergences se sont souvent « étalées » publiquement. Pour les responsables de l’Etat, en effet, la police a toujours été un enjeu crucial dans le contrôle de l’appareil répressif, et elle a été dirigée par des personnalités de premier plan : Ahmed Draïa et Tayeb Larbi, tous deux membres du conseil de la révolution, plus tard Hedi Khediri proche de Chadli Bendjedid, ancien président de la République.

Dès avant l’indépendance du pays, dans les maquis, lors du congrès de la Soummam en août 1956, les dirigeants du FLN posent les fondements de l’Etat algérien. Parmi les principes édictés « la primauté du politique, sur le militaire ». Ces derniers mettront alors tout en œuvre pour parvenir à s’imposer et à être au centre du jeu politique. Les apparences seront préservées jusqu’au coup d’Etat de juin 1965 contre le président Ahmed Benbella, orchestré par le colonel Houari Boumediène, ministre de la Défense. Déjà marginalisés, les civils et les institutions vont devenir des chambres d’enregistrement.

Dans ce contexte, la police a toujours été utilisée pour assurer le fichage de la population, la surveillance des campus, le harcèlement des berbéristes… Sa mission se limitait à collecter le renseignement qui était transmis à d’autres services de l’armée, cette fois, pour y être traité. Dans toutes les périodes cruciales, l’armée prend ainsi le relais et assure la pérennité du régime-FLN. La notion de maintien de l’ordre n’appartient pas à la culture locale et le concept de police républicaine a toujours échoué sur les intérêts de certains militaires préoccupés avant tout par leurs prébendes. C’est pour ces raisons que la police a toujours fait l’objet d’une grande méfiance de la part des barons du régime. La police est le parent pauvre du système répressif. Les policiers mal formés, mal payés, sont issus de milieux modestes et en contact permanent avec les Algériens, ils sont plus sensibles aux conditions de vie de leurs compatriotes. Et comme la plupart des corps sociaux la police est gangrenée par la corruption qui du bas de l’échelle jusqu’à la direction est l’objet de toutes les concussions.

L’assassinat d’Ali Tounsi a eu lieu sur fond de rivalité entre le triumvirat composé par le ministre de l’Intérieur, le chef des Renseignements de l’armée et le Directeur de la police, entraînés tous les trois, à des niveaux divers, dans une guerre pour la reprise en main d’un système qui leur échappait et dont le centre de gravité se situe de plus en plus à la Présidence. Bouteflika et ses proches tentent en effet depuis des mois de marginaliser « les sécuritaires » pour dépouiller son troisième mandat des oripeaux de la guerre et de la violence. À noter que dans cette tentative le ministre de l’Intérieur, Yazid Zerhouni, est l’un des soutiens les plus précieux du chef de l’Etat.

Historiquement, l’Algérie a toujours connu des phases de flux et de reflux de la violence, mais le système a géré ces contradictions internes en cherchant des compromis. La situation a été bouleversée par la mondialisation et certains décideurs n’ont pas compris qu’ils devaient, aujourd’hui, composer avec des éléments exogènes au sérail. Cette nouvelle approche des rapports de force est appréciée différemment selon que l’on appartient à tel ou tel service de l’armée, de la police ou que l’on soit membre du gouvernement.

Dans cette nouvelle bataille pour le pouvoir, que se livrent les anciens combattants de la guerre d’indépendance deux tendances s’affrontent. Les nationaux-républicains se veulent fidèles à l’esprit de novembre 54, et rejettent toute idée de faire entrer l’Algérie dans un processus où elle perdrait partiellement sa souveraineté. Ils se définissent volontiers comme les « Prussiens du Maghreb ». Les « barbéfélènes » sont de leur côté favorables à une ouverture politique vers les islamistes patriotes. Ils ne seraient pas hostiles à des relations stratégiques renforcées avec l’Europe et les Etats-Unis, à condition que l’Algérie devienne un interlocuteur privilégié. Leur modèle serait une évolution à la turque.

Ce sont ces différentes visions de l’Algérie qui n’ont cessé de se provoquer depuis l’indépendance du pays, et qui, aujourd’hui, ne parviennent plus à trouver de compromis. Dans l’immédiat, chacun estime qu’il faut se contenter de gérer cette crise, avant l’émergence d’un nouveau modèle.