ANALYSES

De la science à la politique : coup de froid sur les négociations climatiques

Tribune
1 mars 2010
Le GIEC dans la tempête

De son piédestal de prix Nobel de la paix attribué en 2007 aux vives critiques dont il fait l’objet ces dernières semaines, le GIEC connaît un important revirement de situation. Deux erreurs ont été relevées dans le rapport de 2007, l’une portant sur la datation de la fonte des glaciers de l’Himalaya, l’autre sur l’ampleur de la montée des eaux aux Pays-Bas. Le GIEC a reconnu ses erreurs, et les climato-sceptiques saisissent l’occasion pour remettre en cause la « pensée dominante » en matière de réchauffement climatique. Déjà avant le sommet de Copenhague en novembre dernier, des échanges de mails interceptés à l’université d’East Anglia attestant d’une tentative de minimisation de certains courants scientifiques plus réservés avaient provoqué une vague médiatique.
La mise en cause du travail du GIEC suscite un véritable malaise au sein de la planète climat. Cette instance, créée en 1988 suite à une initiative conjointe de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et de du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), joue un rôle considérable dans l’évaluation du risque climatique sur laquelle se basent les négociations internationales. C’est son 1er rapport en 1988 qui a poussé à la création de la CCNUCC en 1992 à Rio. En 2007, le 4ème rapport du GIEC avait suscité un véritable mouvement de prise de conscience au sein des opinions publiques, relayé de fait par des responsables politiques qui de plus en plus manifestent leur volonté d’intégrer la prise en compte du risque climatique dans leurs politiques nationales. Ils étaient plus d’une centaine à Copenhague pour négocier entre chefs d’Etat à la clôture du sommet.
Les critiques qui pèsent sur le GIEC porte sur son fonctionnement et sa nature hybride scientifique et politique. Le GIEC n’est pas en tant que tel une structure ou un laboratoire de recherche scientifique. Il a pour mission de fournir aux décideurs politiques « une analyse objective et impartiale des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques disponibles sur le changement climatique ». Pour ce faire, le GIEC collecte, synthétise et met en perspective les données scientifiques publiées à travers le monde. Il n’a pas tant pour mission de les vérifier. Cette double essence scientifique et politique pose problème dès lors que les gouvernements et décideurs politiques interviennent dans les étapes de rédaction du rapport. A certains égards, le GIEC est une machine à produire du consensus politique, puisque, in fine les gouvernements ont leur mot à dire sur la teneur du rapport. Régulièrement des allers-retours sont ainsi effectués pour insérer les commentaires des Etats membres. De fait certains raccourcis peuvent se faire au détriment de la rigueur scientifique.
Les critiques actuelles n’émanent pas des Etats, mais plutôt d’une société civile qui s’interroge sur la pertinence et la légitimité des travaux du GIEC. Si deux erreurs dans un document de plusieurs centaines de pages ne remettent pas en cause le diagnostic global, elles invitent néanmoins à s’interroger sur les méthodes et procédures de l’institution. Le fait que les rapports ne soient publiés que tous les 6 ou 7 ans peut nuire à l’entretien d’une dynamique volontariste et à la coordination étroite entre les diagnostics scientifiques et l’action politique.

Négociation dans l’impasse ?

La récente démission d’Yvo de Boer, secrétaire exécutif de la CCNUCC, est un écho retentissant à l’échec du sommet de Copenhague et à la mise en cause du système onusien dans l’impossibilité de trouver un consensus. Le néerlandais, en poste depuis 2006, n’a pas été à la hauteur de l’ambition de Ban Ki Moon qui souhaite faire du réchauffement climatique un enjeu phare de son mandat. Les critiques adressées à Yvo de Boer portent notamment sur le manque d’initiative dont la CCNUCC a fait preuve à Copenhague face à une présidence danoise particulièrement entreprenante. Cette dernière s’était attirée les foudres des pays du Sud qui lui reprochaient ses connivences avec les pays industrialisés. Le secrétaire exécutif n’est pas parvenu à tisser un climat de confiance à Copenhague et n’a pas pu remédier au climat de défiance qui s’est installé dès la première semaine de négociation. Alors que Copenhague devait être le grand soir pour acter politiquement voire juridiquement des mesures fortes en phase avec les recommandations du GIEC publiées en 2007, cette ambition est une fois encore repoussée à plus tard. Ainsi comme l’a dit Yvo de Boer à la clôture du sommet, l’enjeu est désormais de « transformer l’accord conclu à Copenhague en quelque chose de légalement contraignant d’ici un an à Mexico ».

Le compromis trouvé à l’arrachée à Copenhague et scellé dans « l’accord » était l’option politique a minima. Devant l’impossibilité de fixer des objectifs globaux endossés par tous les pays parties, on a privilégié une solution par laquelle chacun des pays définissait ses propres engagements, avec comme date butoir le 31 janvier 2010 pour que les Etats membres signifient au secrétariat de la Convention les mesures nationales prises pour lutter contre le réchauffement climatique. Mi-février, plus de 90 pays avaient communiqué leurs engagements, qui en réalité pour la plupart correspondaient aux annonces déjà faites en amont du sommet de Copenhague.
Mais les pays sont divisés quant à la portée de l’accord de Copenhague. La Chine et l’Inde en particulier ont fait référence dans leur communication au 31 janvier à des dispositions actées par la CCNUCC sans spécifier une souscription formelle à l’accord de Copenhague. Ce choix reflète une des impasses dans laquelle se trouve la négociation et sur laquelle se cristallise le rapport de force Nord/Sud, celle de la pertinence du système onusien pour tisser du consensus et aboutir à des mesures concrètes. Depuis la fin du sommet, les responsables d’un certain nombre de pays soulignent la valeur ajoutée de forums restreints pour aboutir à des résultats plus ambitieux, notamment le G20. Néanmoins les porte-voix des intérêts des pays du Sud, Chine et Inde en tête, sont attachés au cadre onusien car cela leur permet d’entretenir la flamme de l’alliance des pays du Sud alors même que ce bloc est traversé par de nombreux intérêts divergents (émergents/moins avancées, pays pétroliers/forestiers/côtiers, etc.).

Perspectives pour Mexico 2010

Actuellement des discussions ont lieu à Bonn pour déterminer le calendrier de la négociation d’ici à la prochaine réunion de la conférence des parties qui se déroulera en novembre prochain à Cancun. Un certain nombre de points restent en suspens. Tout d’abord l’avenir du protocole de Kyoto, grand absent de l’accord de Copenhague si ce n’est au détour d’un paragraphe pour noter que les pays contraints à des objectifs de réduction « renforceront leurs efforts ». Aucune déclaration politique forte n’a appelé à la sauvegarde du protocole. C’est toujours l’absence des Etats-Unis qui fait bloquer le processus car il ferme la voie à toute intégration des pays émergents dans le système de marché de quotas d’émission, et par ailleurs il entretient l’amertume de pays industrialisés qui ne sont pas disposés à poursuivre leurs engagements sans contrepartie de la part du plus grand pollueur historique. Ensuite les mesures de financement de l’adaptation des pays les plus vulnérables. Il s’agit là du point fort de l’accord car cette question a fait l’objet du seul objectif chiffré concret contenu dans le texte (30 milliards pour la période 2010-2012, puis 100 milliards par an d’ici à 2020). Comment les pays vont-ils se répartir l’alimentation de ce fonds ? Quel ratio fonds publics/fonds privés ? Sur ce terrain la présidence mexicaine devrait être active dans la mesure où c’est elle qui est à l’origine de la proposition de création d’un « green fund » multilatéral.

Pour l’instant les perspectives ne sont guère optimistes pour obtenir un accord fort à Mexico. La question du cadre de la négociation fait toujours débat : maintenir la situation actuelle risque de produire le même résultat teinté d’inertie qu’à Copenhague. Ensuite si l’exécutif américain a manifesté sa volonté de rompre avec le passé en se montrant plus volontariste, l’agenda domestique continuera de peser cette année sur la position américaine dans la négociation internationale. Alors que les chances se réduisent pour une adoption d’ici à Mexico d’une législation climatique fédérale, le résultat des élections de mi-mandat sera déterminant dans l’affaissement ou au contraire le renforcement du crédit politique de l’administration Obama. Et cela impactera sur la position américaine à Mexico, mais d’ici là les Etats-Unis feront sans doute profil bas. Enfin, l’échec de Copenhague risque de peser durablement sur l’implication directe des responsables politiques de haut niveau dans la négociation onusienne. On peut spéculer sur le fait que moins de chefs d’Etat feront le déplacement à Mexico si la négociation demeure dans l’impasse, et ce alors même que d’autres cadres comme le G20 constitueront des occasions de se concerter et de s’exprimer au plus haut niveau pour les grands de ce monde.

Face aux tensions actuelles, il est difficile d’envisager un sursaut de volontarisme politique avant Mexico. Le soufflé de Copenhague est retombé et les pouvoirs publics sont pour le moment moins mobilisés. De plus, le vent de discrédit qui vient de s’abattre sur le GIEC fait la part belle aux climato-sceptiques. Ceci devra être surmonté par une réflexion interne sur les procédures de fonctionnement du GIEC et un dialogue plus étroit avec ces derniers. C’est peut-être paradoxalement du GIEC que viendra le rebond pour un nouveau vent de mobilisation à l’occasion de la publication de son prochain rapport d’évaluation en…2014. Urgence climatique et négociations multilatérales ne sont pas toujours compatibles.