ANALYSES

Haïti et la mondialisation de l’information

Tribune
18 février 2010
Par Jacques Stoufflet, chargé de cours de master à l’IEP de Grenoble sur la mondialisation de l’information
Retentissement éditorial

Dès lors que tout un chacun a accès à l’information, il pourrait être sans conséquence que telle ou telle chaîne d’information internationale offre une meilleure couverture d’un événement. En réalité, les moyens que peut déployer une rédaction ont aussi un retentissement éditorial. Ce qui se joue auprès des opinions publiques à l’occasion d’une catastrophe naturelle de l’ampleur de celle d’Haïti en matière de maîtrise de l’information n’est pas neutre. Là comme en d’autres circonstances – conflits, crises financières, sommets internationaux –, la domination des moyens d’information diffuse une façon de rendre compte de l’événement susceptible d’orienter l’interprétation qu’on en a.
La force d’intervention de CNN se lit dans les moyens dont dispose la chaîne : avec un budget annuel de 650 millions d’euros, la chaîne américaine atteint près du double de celui de BBC World News, et plus de six fois celui de France 24.
La notoriété d’une chaîne d’information ne dépend pas de ses capacités à couvrir occasionnellement un événement, mais de son aptitude à le faire dans la durée et dans les meilleures conditions professionnelles. De ce point de vue, CNN international, pour peu que la langue ne constitue pas un barrage, dispose de moyens qui lui donnent une capacité d’influence avec laquelle il est difficile de rivaliser.

Multiplication des chaînes d’information

Les Etats ont pris depuis plusieurs années la mesure de l’enjeu. Ils sont de plus en plus nombreux à créer ou à favoriser la création de chaînes d’information internationales. Toutes revendiquent la nécessité de faire valoir un point de vue, une lecture des événements, aussi bien les chaînes déjà citées, qu’Al Jazeera, notamment à propos du Proche-Orient, ou Telesur, lancée en juillet 2005 à l’initiative du Venezuela, de l’Argentine et de l’Uruguay et de Cuba « pour remettre en cause le regard biaisé que des médias internationaux ont sur notre continent, rempli de préjugés et de lieux communs. »
La maîtrise de l’information représente une telle importance qu’elle avait déjà donné lieu à une empoignade mémorable au sein de l’Unesco dans les années 1970/80 dans le cadre d’un débat houleux sur le « Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication ». Les pays du Sud reprochaient alors au pays du Nord d’imposer leur regard avec des flux d’information toujours unidirectionnels, du Nord vers le Sud. Les conclusions du rapport MacBride, publié à cette occasion et faisant droit à certaines positions des pays de Sud, déclencha le départ de l’Unesco des Etats-Unis et du Royaume-Uni, au nom de la liberté d’informer et de la libre circulation de l’information.

Un événement, plusieurs lectures

A l’heure de la mondialisation en général, et de celle de l’information en particulier, les questions posées dans le cadre de l’Unesco restent en grande partie d’actualité. Andrea Semprini, dans son ouvrage sur CNN (2), s’interroge en ces termes : un événement est-il le même événement pour tous ? La réponse ne peut être que non. Question de culture, de contexte historique, d’intérêts en jeu, de hiérarchie dans l’information. En l’occurrence, pour Haïti, indépendamment de la violence de l’événement, la forte présence de CNN n’est pas séparable de la proximité géographique et des liens historiques entre l’Île et les Etats-Unis, ainsi que par l’existence d’une communauté haïtienne de deux millions de personnes sur le sol américain.
Cela ne signifie pas que le séisme et ses 220 000 morts n’aient pas justifié la mobilisation de toute rédaction, quelle que soit sa nationalité. Mais cette catastrophe a mis de nouveau en lumière que la domination de l’information est un vecteur d’influence déterminant. Dans d’autres circonstances qui ne tiennent pas à l’émotion ou à la solidarité, une telle domination a de fait des répercussions idéologiques, politiques, économiques ou culturelles.


(1) « Le temps des événements médiatiques », de Jocelyne Arquembourg-Moreau, INA/médias recherches, mai 2003
(2) « CNN et la mondialisation de l’imaginaire », d’Andrea Semprini, CNRS éditions, septembre 2000

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