ANALYSES

Afghanistan : à la veille de la Conférence de Londres

Tribune
27 janvier 2010
Dans le cadre de « l’Afghanistation » de la guerre, la conférence annoncera le transfert des pouvoirs en matière de sécurité aux forces afghanes, dont son nombre sera augmenté, notamment dans les zones actuellement sous la responsabilité britannique dans le Sud.

Mais, incontestablement, le volet politique dominera la conférence qui va essayer d’établir un pendant politique à la stratégie militaire. L’OTAN sera dotée d’un responsable civil pour coordonner les efforts entre le volet civil et le volet militaire. Un appel à une contribution d’aide civile sera lancé. Cependant, les divergences persistent sur le point le plus important et le plus délicat à aborder : les modalités de négociations avec les talibans.

Hamid Karzaï sera ainsi à Londres avec une demande précise : le retrait des noms des principaux responsables des talibans inscrits sur une liste noire par l’ONU, pour lui permettre de mieux négocier avec eux le retour à la paix en les associant au pouvoir à Kaboul. Washington et Londres hésitent à accéder à cette demande dont sa charge symbolique sera immense et marquera officiellement l’échec des Etats-Unis et de l’OTAN en Afghanistan.

Mais, l’évolution de la situation politique à l’intérieur de l’Afghanistan, marquée par d’importants gestes envers les talibans, notamment envers Gulbuddin Hekmatyar, le chef du parti islamique, l’une des trois composantes de l’insurrection, renforce la tendance désormais partagée par l’Occident de négocier avec les talibans. L’un des responsables de la branche kabouli de ce parti, M. Arghandiwal, vient d’être nommé ministre de l’économie. Gulbuddin Hekmatyar, lui-même, a pris l’initiative de présenter un plan de paix. Contrairement aux talibans « historiques » sous l’ordre du mollah Omar, connu aussi sous le nom du « chourai Quetta » (Conseil de Quetta au nom de la ville pakistanaise au Baloutchistan) et les réseaux Haquani (la branche la plus radicale des talibans), Hekmatyar ne demande pas le retrait préalable des forces de l’OTAN pour négocier avec Kaboul. Il propose qu’une force de paix remplace l’OTAN et qu’un gouvernement de transition soit mis en place pour la durée d’un an. Ce gouvernement organisera des élections libres auxquelles les talibans participeront.

Hamid Karzaï demandera par ailleurs une somme considérable, de l’ordre de plusieurs milliards de dollars, pour insérer les talibans qui accepteraient de déposer les armes, dans la vie civile. Sur ce point, il n’aura pas de difficultés à convaincre les Américains et les Britanniques. Aussi bien Robert Gates que Hillary Clinton ont reconnu que les talibans font partie du « paysage politique » en Afghanistan et doivent être associés au pouvoir, s’ils abandonnent la lutte armée.

Ce scénario est-il plausible ?

Dans la situation actuelle, les talibans ont l’initiative sur le terrain. Le gouvernement de Hamid Karzaï, affaibli et contesté, sera peut-être légitimé par la conférence de Londres, mais une légitimité obtenue, non pas par l’élection ou l’adhésion de la population mais par la bénédiction des puissances étrangères, ne sera pas un atout pour lui en Afghanistan.

Pour contraindre les talibans à négocier avec Kaboul, il faudrait que le rapport de force change sur le terrain. Rien ne permet de croire qu’avec 30 ou 40.000 soldats supplémentaires la situation changera radicalement (même si cela est souhaitable).

Cela dit, il convient de souligner que la paix ne sera pas installée en Afghanistan si les talibans ne sont pas associés au pouvoir. Une négociation séparée avec Gulbuddin Hekmatyar ne pourra pas, à mon avis, assurer une paix totale. Hekmatyar, comme les autres chefs des talibans, ne peuvent pas négocier avec Kaboul sans le feu vert du Pakistan. Et justement, le Pakistan sait que Hekmatyar, seul, ne pourra pas modifier la donne politique en Afghanistan. C’est en effet l’échec d’Hekmatyar à s’emparer du pouvoir à Kaboul après la chute du régime communiste en 1992 qui a favorisé l’avènement des talibans avec l’aide des services pakistanais et la bénédiction des pays du Golfe et les Occidentaux.

La perspective du retour des talibans à Kaboul inquiète la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme. Plusieurs partis laïcs et des associations des femmes ont manifesté à Kaboul contre le plan du président Karzaï d’intégrer les talibans au sein du pouvoir afghan.

L’Afghanistan et l’Occident se trouvent ainsi face à un défi historique. Devant l’échec militaire constaté, une redéfinition de la stratégie en Afghanistan était demandée. Or, on le sait pertinemment, une nouvelle stratégie doit contenir un volet politique qui passe inévitablement par des négociations avec les talibans. Cependant, rien n’indique que ces derniers ont désormais une perception différente sur la société que lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1994 et 2001.

Enfin, il faut souligner que toute comparaison entre les talibans et les tribus arabes sunnites irakiennes est sans fondement. Ces derniers, sans réel lien avec Al-Qaïda et minoritaire dans le pays, ne cherchaient qu’à obtenir une place dans la vie politique, alors que les talibans, s’appuyant sur l’ethnie majoritaire, veulent reconquérir le pouvoir. Le retour des talibans, au prix d’abandon de quelques acquis en matière des droits de l’homme, pourrait-il assurer la paix et la stabilité en Afghanistan et dans la région ? Difficile d’y répondre positivement tant la situation dans ce pays et dans la région est d’une extrême complexité.