ANALYSES

Quatrième présidence espagnole de l’UE, un rendez-vous manqué par l’Espagne comme par l’Union

Tribune
15 février 2010
Il revient en effet à la présidence espagnole d’essuyer les plâtres de la nouvelle architecture institutionnelle, conséquence de l’approbation du traité intergouvernemental de Lisbonne. Cette situation génératrice d’incertitudes et d’ajustements va mobiliser ses différents protagonistes, européens comme espagnols. Il sera en effet difficile, indépendamment de la bonne volonté des différents acteurs, d’organiser une responsabilité partagée entre le président de l’Union européenne, H. Van Rompuy, le chef de l’exécutif de la présidence tournante, l’espagnol J-L R. Zapatero, le président de la Commission, J. M. Barroso, et la responsable des affaires internationales, C. Ashton. Il leur reviendra qui plus est de mettre en place un service extérieur de l’Union, inexistant jusqu’ici.

José Luis Rodriguez Zapatero, chef du gouvernement espagnol, afin d’arrondir les angles a invité le 15 décembre 2009 Herman Van Rompuy, président désigné de l’Union européenne. Tous deux se sont mis d’accord sur une sorte de cogestion ou de consulat alternant les rôles. H. V. Rompuy présidera les Conseils de chefs d’Etat et de gouvernement. La responsable internationale, C. Ashton, les Conseils de ministre des Affaires étrangères. JL R Zapatero ou ses ministres seront aux commandes pour les conseils spécialisés et les sommets organisés en Espagne avec des partenaires extérieurs (à Madrid avec les Etats-Unis, puis l’Amérique latine, à Barcelone avec les Méditerranéens …).

En dépit de cette démonstration de bonne volonté partagée soulignée politiquement par un article de presse cosigné par Herman Van Rompuy et José Luis Rodriguez Zapatero, des points de friction subsistent en particulier pour tout ce qui concerne la préparation de la nouvelle stratégie de la croissance et de l’emploi, l’un des plats de résistance de cette présidence. J-L R Zapatero a tenu le 5 janvier 2010 une réunion à Madrid sur l’économie de l’Europe avec J. Delors, F. Gonzalez et P. Solbes. Quelques heures plus tard H. Van Rompuy annonçait la convocation pour le 11 février d’un sommet européen sur la conjoncture économique. Alors que le 8 du même mois J-L R Zapatero, H. Van Rompuy et J. M. Barroso s’étaient retrouvés à Madrid pour à nouveau aplanir les aspérités de leur coopération.

Ces ajustements étaient sans doute prévisibles compte tenu des circonstances européennes, tout comme d’une conjoncture espagnole inconfortable, économiquement comme politiquement, contraignant l’action et les initiatives de JLR Zapatero.

Economiquement, l’Espagne est en effet parmi les grands pays de l’Union, « l’homme malade de l’Europe ». Le chômage bien qu’en ralentissement a continué sa progression. Il concernait en décembre 2009 19% de la population active. L’Espagne selon les instituts spécialisés devrait encore perdre 200.000 emplois en 2010. Le déficit budgétaire attendu en décembre, 9,5%, a été dépassé de près de deux points. La reprise, espérée pour les prochains mois sera plus tardive que dans le reste de l’Union. Les spéculateurs y ont trouvé un terrain propice à leurs manipulations la première semaine de février. Cette tentative de déstabilisation est la conséquence d’une situation de faiblesse. Les choix économiques privilégiant l’immobilier, le tourisme et les services financiers, perpétués sans inventaire depuis plus de dix ans d’un gouvernement à l’autre ont épuisé leurs vertus. Alors que le secteur industriel qui a pendant toute la période perdu des parts de compétitivité, est dans l’incapacité d’assurer un quelconque relai. La balance des échanges commerciaux est structurellement déficitaire. Ce modèle mis en place à la fin des années Gonzalez a été confirmé sans retouche majeure par JM Aznar et J-L R Zapatero. Le taux de croissance, stimulé par la construction elle-même alimentée par l’endettement des ménages, était de 3 à 4% chaque année. Le chômage était tombé à moins de 8% en 2007. Le PIB de l’Espagne selon son gouvernement à ce moment-là avait dépassé celui de l’Italie. L’objectif alors annoncé était de rattraper la France et l’Allemagne. Les autorités afin de justifier électoralement et politiquement une orientation, réduisant aux seconds rôles la part de l’économie productive et du social, avaient proposé une interprétation sociétale du réformisme à l’espagnol. L’accent a été mis depuis 2004 sur la laïcisation de la société, le féminisme, la mémoire historique, la valorisation et la médiatisation de la nouveauté. Manifestement cette option ne permettait pas d’affronter une crise économique et sociale majeure. L’implosion de la bulle immobilière, le marché étant saturé par une offre excessive et l’insolvabilité des ménages, les conséquences de la crise internationale sur le tourisme, ont ôté son bien fondé à cette version exclusivement sociétale d’une troisième voie, faisant abstraction du réel économique et de ses contradictions.

Le sentiment national fait l’objet par ailleurs d’un doute collectif, générateur à court terme de fortes turbulences. L’Espagne selon sa Constitution est une nation composée de nationalités et régions autonomes. Cette définition, compromis issu des rapports de forces négociés à la sortie de la dictature franquiste, a toujours été contestée. La droite, l’une des plus traditionnalistes d’Europe, a empêché la mise en place d’une histoire collective et d’une éducation civique, symboles à ses yeux, des régimes communistes. Paradoxalement elle revendique de plus en plus souvent en anglais une priorité pour l’Espagne et sa langue, contre les identités et parlers locaux. Dans les régions qu’elle dirige elle s’est avec succès mobilisée pour préserver l’instruction religieuse dans les écoles publiques et détourner la loi, par exemple, comme à Valence, en faisant donner en anglais les cours d’éducation citoyenne. En Galice le gouvernement régional propose aux parents de déterminer la langue d’enseignement des différentes matières entre espagnol, galicien… et anglais sur la base de trois tiers. Les périphéries basque et catalane contestent de façon totalement opposée mais avec la même résolution le compromis constitutionnel de 1978, pour revendiquer des personnalités collectives concurrentes à celles de la nation commune. En Catalogne, – gouvernée par une majorité PSC-IU-ERC- , c’est-à-dire socialistes, communistes et verts, républicains indépendantistes-, les partis nationalistes, autonomistes, rejoints parfois par socialistes, verts et communistes, prétendent réajuster les relations avec le pouvoir central. Le parlement de Catalogne a par exemple adopté un nouveau statut d’autonomie accordant à la région le caractère d’une nation. La Chambre des députés espagnole a entériné ce choix. Le Tribunal constitutionnel a été saisi par le PP (droite) qui entend réserver le concept de « nation » à l’Espagne de façon exclusive. Le gouvernement central a fait savoir qu’il se plierait à la décision du Tribunal quelle qu’elle soit. L’Exécutif catalan, présidé par J. Montilla (PSC) a signalé qu’il organiserait une résistance civique si les juges de la Cour suprême retiraient le caractère de nation à la Catalogne. Cette annonce a ouvert une crise de confiance entre les deux partis de la famille socialiste le PSOE et le PSC. Mais aussi au sein du camp nationaliste. Le président du football club de Barcelone a en effet décidé d’appuyer l’organisation de référendums municipaux sur l’indépendance de la Catalogne, afin de forcer la main des indépendantistes de gouvernement (ERC).

Cette double difficulté a érodé la marge de manœuvre du gouvernement espagnol en 2009. Les sondages ont depuis plusieurs mois reflété une déperdition croissante de soutien populaire. Depuis novembre 2009, le PP dépasse le PSOE dans toutes les enquêtes. Les Espagnols jugent majoritairement JLR Zapatero peu crédible et plus réactif et imprévisible que cohérent pour affronter les difficultés du moment. La presse internationale ( Financial Times , die Welt …) est elle aussi particulièrement sévère sur une présidence européenne qu’elle juge affaiblie par les problèmes internes du pays. Le ministère allemand de l’économie a le 10 janvier 2010 dans une note inédite rendue publique, mais en conformité avec le sentiment exprimé par cette presse et l’opinion espagnole, contesté la feuille de route présentée par l’Espagne pour affronter la crise. Au forum de Davos, le 28 janvier, le président du gouvernement espagnol a été de façon révélatrice assis aux côtés de ses homologues grec et letton. L’Espagne a ainsi été placée du côté des mauvais élèves de l’Europe. Impression confirmée par les déclarations sévères faites le 3 février par le Commissaire européen aux Affaires économiques, Joaquin Almunia. « Dans ces pays », a-t-il déclaré ce jour là, faisant référence à la Grèce, à l’Irlande, au Portugal et à l’Espagne, « on constate une perte constante de compétitivité depuis leur incorporation dans la zone euro ». La reconquête d’une crédibilité perdue va être d’autant plus laborieuse que les opinions portées sur la crise par le chef du gouvernement espagnol et les décisions prises pour l’affronter prêtent au doute. Comment par exemple comprendre la remise d’impôt de 400€ pour chaque foyer fiscal, qualifiée de progressiste en 2008 et en 2009, sa suspension présentée ici encore et de façon paradoxale comme tout aussi progressiste. L’absence d’engagement gouvernemental clair sur l’affaire catalane apparaît lui aussi peu compréhensible. JLR Zapatero a donné son accord politique à la reconnaissance de la Catalogne comme nation. Pourtant il se dit prêt à accepter sans commentaire la décision contraire éventuelle que pourrait prendre le tribunal constitutionnel. Ce va et vient ici encore accentue le sentiment de flottement et d’indéfinition photographié par les enquêtes d’opinion.

La présidence européenne pourrait-elle permettre à l’Espagne de combler ce déficit de crédibilité ? Le gouvernement de Madrid l’a sans doute pensé. Il essaie depuis quelques mois de se refaire une santé « sondagière » en démultipliant la présence internationale de son président sur un terrain que pourtant depuis 2004 il a assez peu exploré. JLR Z a démultiplié en 2008 les démarches auprès du Brésil, du Mexique et de la France pour être admis au G-20. Il a, comme déjà évoqué, dans le même esprit invité et reçu le 5 janvier 2010 trois personnalités européennes et espagnoles médiatiques leur attribuant la fonction de conseil économique à ses côtés. Un gala, médiatisé en Espagne, a été organisé à Madrid pour signaler en présence de personnalités européennes le début de la présidence de l’Union. La gestion des sommets européens « de luxe », organisés à Madrid (avec les Etats-Unis, puis avec les pays d’Amérique latine) et à Barcelone (sommet euro-méditerranéen) a été programmée dans un esprit médiatique identique afin de donner à la présence d’hôtes de marque au côté de JLR Zapatero une résonnance espagnole et internationale.

Mais le contexte intérieur, économique et politique, limite l’effet positif éventuel d’évènements internationaux. Il réduit la capacité d’initiative de cette présidence espagnole de l’Union européenne. Elle ne sera pas en condition par exemple d’exercer des pressions incitatives en matière écologique ou régulatrice à l’égard des Etats-Unis. D’autant plus qu’ostracisé par G. Bush, JLR Zapatero est en quête de reconnaissance de la part de B. Obama, son successeur. Qui plus est, pris par d’autres priorités, le président américain a annulé sa présence au sommet Union Européenne-Etats-Unis. Pourtant, répondant à l’appel pressant venu de Washington, l’Espagne a annoncé l’envoi de 500 soldats en Afghanistan, 500 autres en Haïti et levé les restrictions à l’emploi de ses forces en Afghanistan. Et José Luis Rodriguez Zapatero a accepté le lot de consolation proposé par le locataire de la Maison Blanche : une participation à un petit-déjeuner de prières organisé à Washington le 4 février par les élus croyants. Quant à l’Amérique latine, zone d’intérêt privilégié par l’Espagne, elle a bien été évoquée le 8 janvier à l’occasion de la conférence de presse commune Zapatero-Van Rompuy. Mais le président espagnol a indiqué de façon révélatrice que la réévaluation de la politique européenne à l’égard de Cuba, reposant sur un cadre conditionnel défini en 1996, à l’initiative de José Maria Aznar, ne constituait pas une priorité de la présidence tournante. Il a d’autre part signalé à la même occasion que les questions économiques relevaient de la compétence du président de l’Union. En clair le calendrier européen va imposer ses exercices obligés à une présidence accaparée par la nécessité de remonter la pente économique et sociale en Espagne et une perte de crédibilité à l’international. Dans les vœux présentés à ses concitoyens le président espagnol a de façon significative beaucoup plus parlé de ses initiatives destinées à affronter la crise intérieure que d’un nouvel élan pour l’Europe : réforme du marché du travail ; de la sécurité sociale ; des retraites ; des services ; projet de loi sur l’économie durable ; réduction du déficit budgétaire et du train de vie de l’Etat ; projet de loi sur la science et la recherche. Le tableau a depuis été confirmé et précisé. Un plan d’austérité destiné à rétablir les finances publiques et la confiance des marchés a été rendu public. Il repose sur des mesures affectant l’Etat social, comme le report à 67 ans du droit à la retraite, l’allongement à 25 annuités du calcul des pensions, la réforme des contrats de travail. Si les marchés ont bien accueilli ces annonces les syndicats ont protesté et l’appareil du PSOE a de façon inhabituelle signalé son inquiétude électorale pour les régionales de 2010 et 2011.

Cette situation de faiblesse conjoncturelle de la présidence tournante va sans aucun doute jouer sur le rapport des forces institutionnelles européennes. Elle donne une main inattendue au président de l’Union, ce qui aura nécessairement des conséquences pour les cogestions suivantes. Pourtant les difficultés espagnoles n’ont paradoxalement pas été utilisées par la responsable internationale, C. Ashton. L’Europe a été la grande absente de la conférence de Montréal sur la reconstruction de Haïti le 25 janvier.
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