ANALYSES

Invictus : le sport au cœur de la réconciliation post-apartheid en Afrique du Sud

Tribune
15 janvier 2010
Le film témoigne à la fois d’un grand humanisme et de la valorisation d’un leader charismatique, dans la lignée des récents films de Clint Eatswood. Il s’agit en l’occurrence d’un héros qui cherche à construire la « nation arc-en-ciel » par la réconciliation, le pardon et la projection dans le futur de son pays au-delà des rancoeurs. Mandela apparaît comme l’invincible, celui qui durant ses 27 ans d’emprisonnement relisait le poème de Henley se terminant par « je suis le maître de mon destin, je suis le capitaine de mon âme ». Il cherche à insuffler cette énergie et cette force au capitaine de l’équipe des Springboks pour lui faire gagner la finale de la Coupe du monde et pour que les Suds-Africains se trouvent réunis autour du seul objectif qui, à l’époque, pouvait rassembler les différentes communautés.

Le film a une grande portée politique. Il montre en quoi le sport peut être un projet unificateur ; facteur d’opposition entre les Noirs amateurs de football et les Blancs s’identifiant au rugby, il devient un moment de construction nationale où les acteurs s’élèvent en se rapprochant. « Le sport nous donne le pouvoir de changer le monde, de nous élever et, mieux que tout, de nous rapprocher les uns des autres », disait Mandela. Les téléspectateurs de l’époque se souviennent de l’arrivée de Nelson Mandela lors de la finale de la Coupe du monde de rugby en 1995. Il portait le maillot des Springboks aux couleurs vert et or, symbole des Blancs et honni des Noirs. Il a été alors ovationné par les spectateurs blancs et a fait de la victoire des Springboks le symbole de la victoire des Suds-Africains, toutes communautés confondues. Mandela a eu le génie politique d’utiliser le symbole de l’ancien adversaire pour en faire un symbole à portée universelle qui dépassait les clivages et effaçait les cicatrices de l’histoire. Il l’a fait contre son propre parti l’ANC.

Bien entendu, d’autres éléments non évoqués dans le film sont également fondateurs de la « nation arc-en-ciel », telles la « Commission vérité et réconciliation », la constitution de 1994 instituant la séparation des pouvoirs et reconnaissant des droits de l’homme avancés tels le droit à l’alimentation ou à l’eau. Bien entendu, ce film passe sous silence des aspects moins positifs concernant la non reconnaissance de la priorité de la lutte contre le sida, ou les doutes sur le respect des règles sportives lors de cette Coupe du monde. Mandela était sur le fil du rasoir entre la réponse aux légitimes aspirations des victimes de l’apartheid et la volonté de rassurer les milieux financiers et d’éviter l’exode des compétences.

Ce film relate un moment unique de réconciliation qui répond aux rêves d’un Albert Camus lors de la guerre d’Algérie d’une trêve entre Arabes et Européens, ou d’un Daniel Barenboim unissant dans une même musique Palestiniens et Israéliens. Il s’agit peut-être hélas d’une époque révolue quand on sait que les membres de l’ANC veulent aujourd’hui changer le maillot des Springboks et imposer des quotas de Noirs au sein de l’équipe de rugby sud-africaine.

L’esprit de Mandela souffle-t-il encore ?