ANALYSES

Echec du sommet de Copenhague : quand les Etats mènent la danse

Tribune
22 décembre 2009
Constat d’échec

Beaucoup d’espoir avait été placé dans le sommet de Copenhague, dès lors qualifié d’historique, qui tient à plusieurs raisons. Tout d’abord le sentiment d’urgence croissante face au réchauffement de la planète, nourri par le quatrième rapport du GIEC publié en 2007 et qui a reçu une résonance particulière et une importante médiatisation avec l’attribution du Prix Nobel de la paix cette même année à Al Gore et au GIEC. Ensuite la feuille de route de Bali, qui avait donné un calendrier précis aux négociateurs avec comme échéance Copenhague en 2009 non seulement pour parvenir à un accord ambitieux en termes de compensation pour les pays les plus vulnérables, mais surtout pour donner suite au protocole de Kyoto, seul et unique instrument contraignant permettant, à son échelle, d’infléchir la courbe des émissions mondiales de carbone. Puis, les attentes étaient nourries par un hypothétique revirement de la position américaine : au terme de huit années de présidence Bush teintées de « négationnisme climatique », l’administration Obama était considérée comme à même de présenter un tout autre visage de l’engagement américain, premier pollueur mondial de la planète par habitant. Enfin, la polarisation des attentions sur cette échéance de Copenhague soulevait l’espoir d’une pression exercée durablement sur les dirigeants politiques. De ce point de vue, le sommet de Copenhague était indéniablement historique : plus d’une centaine de chefs d’Etat ont fait le déplacement – une première pour le climat –, 15 000 personnes étaient accréditées pour pénétrer le Bella Center , l’enceinte de la négociation. Les manifestations organisées par les multiples ONG présentes ont largement été relayées par les 5 000 journalistes qui avaient fait le déplacement. Le sommet a de fait bénéficié d’une couverture médiatique sans équivalent pour un enjeu environnemental. Ces différents éléments ont contribué à polariser des espoirs sans doute démesurés sur ce sommet et l’ampleur de l’événement est une des raisons de l’ampleur du sentiment d’échec qui règne au lendemain de la conférence.

En effet les résultats sont maigres rapportés aux attentes soulevées et surtout aux recommandations de la communauté scientifique. Le constat est unanime sur le diagnostic climatique : une fois franchi un certain seuil d’augmentation de la température, les dérèglements climatiques et risques d’atteinte à la sécurité internationale se multiplieront. Il faut donc agir dès maintenant pour contrer le phénomène. Mais du discours aux actes, le fossé est très important. L’ « accord de Copenhague » identifie l’objectif – limiter à 2°C l’augmentation de la température moyenne – mais ne fournit aucun moyen concret pour y parvenir, même pas a minima un objectif de long terme de réduction de moitié des émissions d’ici à 2050. Les objectifs chiffrés pour la prochaine période d’engagement du protocole de Kyoto, au-delà de 2013, ne sont pas mentionnés précisément. Les pays émergents, pierre angulaire d’un infléchissement significatif des émissions dans les décennies à venir, demeurent confortablement installés dans le bloc hétérogène des pays en développement qui n’ont pas à fournir d’objectifs chiffrés. Toutes les conditions techniques et juridiques de l’accord de Copenhague sont repoussées à la prochaine phase de négociation quand bien même c’était justement Copenhague qui devait produire de tels résultats. Effectivement le constat est amer. Une note confidentielle du secrétariat de l’ONU estime qu’au rythme actuel et au regard des engagements sur la table, on est sur une pente d’augmentation de la température de 3°C d’ici à 2100, et donc bien au-delà du seuil critique. Or on ne peut pas repousser indéfiniment le processus, dans la mesure où les émissions de CO2 ont une importante durée de vie dans l’atmosphère et que tant qu’on ne remédie pas significativement à l’augmentation de la concentration de GES, on s’enferme dans une dynamique croissante des émissions mondiales, voire exponentielle du fait de la perspective de croissance des pays en développement.

Leçon de réalisme

Copenhague est révélateur du réalisme qui prévaut en matière de gouvernance mondiale et qui se traduit par la prédominance des intérêts nationaux dans le processus de négociation. Pourtant tout le monde est concerné par le climat, idée de bien commun partagé que constitue notre planète et qui devrait dès lors dépasser le cadre des intérêts nationaux. Mais ceci serait dans le meilleur des mondes, un monde kantien, et la réalité est autre car la régulation climatique sous-tend d’importants enjeux économiques et de développement. Plusieurs éléments permettent de comprendre pourquoi les logiques étatiques prennent le pas sur l’intérêt partagé de préservation de la planète. Tout d’abord, les Etats ne sont pas tous responsables à la même échelle du réchauffement climatique, et cela vaut tant pour des considérations historiques que présentes et futures. Ainsi si les pays industrialisés portent la responsabilité de la croissance des émissions d’hier, ce sont les pays en développement qui portent celle des émissions de demain. Et donc le partage du coût de l’adaptation doit tenir compte de ces réalités. Ensuite, bien que le risque d’instabilité concerne la planète dans son ensemble, certains pays sont plus vulnérables que d’autres aux effets du réchauffement climatique et ainsi le sentiment d’urgence n’est pas ressenti de la même façon par les différents Etats. A cela s’ajoute la dimension de long terme qu’exige la lutte contre le réchauffement climatique : le fait que les effets dévastateurs ne soient pas immédiatement perceptibles par de multiples Etats ne favorise pas un traitement prioritaire de la question. Enfin, tous les Etats n’ont pas la même capacité d’adaptation, en particulier sur le plan technologique. Lutter contre le réchauffement climatique implique de mettre en place des mécanismes de compensation, par le biais de transfert de technologies ou de financements, pour les acteurs les plus vulnérables. Le partage de ces ressources suscite de multiples convoitises, sa provenance et ses modalités de multiples tractations.

Ainsi, les Etats gardent la main dans la négociation. Or on a pu constater que seuls des engagements pris au plus haut niveau de représentation semblent pouvoir déboucher sur des avancées, si minimes soit-elles, ce qui freine plus encore le processus de négociation multilatérale. Ainsi, alors qu’une multitude de techniciens s’affairent depuis Bali à négocier dans le cadre de la convention climat en vue de l’échéance de Copenhague, tous les regards étaient braqués sur les deux derniers jours de la conférence avec la venue des chefs d’Etat, seuls apparemment disposés à prendre des décisions concrètes pour « débloquer » la situation. On a ainsi eu l’impression que les négociateurs, représentants de leurs pays respectifs par ailleurs, ne disposaient pas d’un mandat clairement défini pour mener à bien la négociation en fonction de marges prédéterminées. Pour préparer l’arrivée des chefs d’Etat, plusieurs milliers de personnes accréditées pour le sommet, des représentants de la société civile en particulier, ont été priés de quitter les lieux en milieu de deuxième semaine pour laisser place au défilé des chefs d’Etat. Et c’est finalement un groupe restreint de moins de trente pays, représentés par les chefs d’Etats, qui a négocié un « accord » final que certains pays comme Cuba, le Venezuela ou encore le Soudan ont dénoncé comme une manœuvre ne s’inscrivant pas dans le cadre démocratique onusien.

Le sommet de Copenhague reflète un certain nombre de tendances géopolitiques au premier rang desquelles on trouve le poids du condominium Chine/Etats-Unis. Les deux pays ont été désignés comme les principaux responsables de l’échec du sommet, et de fait tant que ces deux acteurs ne s’engagent pas fermement pour réduire leurs émissions, d’une part on ne peut obtenir de résultats substantiels puisqu’ils pèsent pour plus de 40% des émissions mondiales, et d’autre part on ne peut espérer de dynamique globale qui pourrait entraîner côté Etats-Unis un certain nombre de ses alliés, notamment les pétroliers, et côté Chine les pays en développement les plus pollueurs. Or on l’a constaté dans le cadre onusien, Chine et Etats-Unis s’affrontent en duel, en se renvoyant systématiquement la balle et en conditionnant leurs efforts à ceux de l’autre. Mais ce duel est en réalité une sorte de duo orchestré par les deux puissances pour servir leurs intérêts respectifs. L’un comme l’autre ont pris la mesure de l’enjeu climatique en termes de risques d’instabilité au sein et en dehors de leurs frontières, mais également en termes d’enjeu de maîtrise de la technologie verte. Toutefois l’un comme l’autre considèrent que le cadre multilatéral onusien n’est pas le plus approprié pour coopérer et privilégient des logiques bilatérales ou multilatérales restreintes. La poursuite de la négociation tient pour beaucoup à l’évolution des positions respectives – et d’une hypothétique position commune – des Américains et des Chinois. Or il est fort à parier que les deux pays persistent à privilégier des dynamiques internes et/ou multinationales restreintes en dehors du cadre onusien…un coup dur pour la gouvernance mondiale .