ANALYSES

L’accès à l’eau potable : un droit inaliénable confronté à la question du financement

Tribune
29 juillet 2009
Dans son rapport mondial sur le développement humain en 2006, le PNUD (4) estime que les ODM en matière d’eau sont sur le point d’être réalisés. Ce constat très global cache de grandes disparités. L’Afrique subsaharienne n’atteindrait l’objectif qu’en 2040. Dans cette région le nombre d’habitants privés d’accès à l’eau potable a augmenté de 60 millions depuis 1990 (5).

Le droit à l’eau est clairement implicite dans le droit à un niveau de vie suffisant et le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en 1966 est garant de ce droit (6).

Eu égard aux difficultés d’application de ce texte, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels du Conseil économique et social des Nations unies décida d’interpréter le droit à l’eau dans son Observation générale n°15, adoptée le 26 novembre 2002. Cette Observation générale liste un certain nombre de recommandations pour mettre en œuvre le droit à l’accès à une eau en quantité et en qualité suffisante.

Dans la partie introductive de l’Observation générale, il est stipulé que « le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun ». « Le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie décente. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme » (7).

Si la notion d’approvisionnement en eau varie en fonction des situations, principalement entre les zones rurales et urbaines, trois facteurs restent tout de même pertinents quelles que soient les circonstances : la disponibilité, la qualité, et l’accessibilité.
– L’eau, pour chaque personne, doit être accessible en qualité et en quantité suffisante pour les « usages personnels et domestiques » (la consommation, l’assainissement individuel, le lavage du linge, la préparation des aliments ainsi que l’hygiène personnelle et domestique).
– L’eau nécessaire pour chaque « usage personnel et domestique » doit être salubre et donc exempte de risque pour la santé. En outre, l’eau doit avoir une couleur, une odeur et un goût acceptables.
– L’accessibilité comporte deux dimensions principales. L’eau ainsi que les installations et services adéquats doivent être physiquement accessibles sans danger pour toutes les couches de la population. Chacun doit avoir accès à une eau salubre, de qualité acceptable et en quantité suffisante au foyer ou à proximité immédiate, dans les établissements d’enseignement et sur le lieu de travail, ou à proximité immédiate. L’eau, les installations et les services doivent être d’un coût abordable pour tous.

Le Pacte prévoit, également, la réalisation progressive du droit à une eau salubre en imposant aux États diverses obligations à effet immédiat. La principale obligation des Etats parties au regard du droit à l’eau consiste à prendre des mesures concrètes visant progressivement au plein exercice de ce droit, et ce en utilisant le maximum de leurs ressources disponibles, quelles soient humaines et administratives, législatives et financières.

Par exemple, les États doivent s’abstenir dans tous les cas d’imposer à un autre pays des mesures empêchant l’approvisionnement en eau. Par ailleurs, la coopération internationale requiert des États qu’ils s’abstiennent de mener des actions qui entravent, directement ou indirectement, l’exercice du droit à l’eau dans d’autres pays.

Certains Etats, comme c’est le cas en Uruguay, garantissent le droit à l’accès à une eau salubre en quantité et en qualité suffisante comme un droit constitutionnel (article 47).

« Les préconisations énoncées dans l’observation mettent en exergue : l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des stratégies, de la législation et des politiques sur l’eau ; L’identification d’indicateurs et de critères permettant d’assurer le suivi de la mise en oeuvre du droit à l’eau ; Tout particulier ou tout groupe dont le droit à l’eau a été enfreint doit avoir accès à des recours effectifs, judiciaires ou autres, à l’échelle nationale et internationale ».

Enfin, la dernière partie de l’Observation générale met l’accent sur les obligations notamment des institutions internationales. En effet, les Nations unies, l’Organisation internationale du travail, l’OMS, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et les ONG doivent coopérer efficacement avec les États en mettant à profit leurs compétences respectives pour faciliter la mise en œuvre et assurer la protection et la promotion du droit à l’eau.

Selon Ricardo Petrella, 24 pays d’Afrique sont incapables de fournir de l’eau potable à l’ensemble de la population (8). Outre des questions de volonté politique, se pose par conséquent la question du financement des infrastructures.

Pour y parvenir, les États sont souvent contraints de répercuter sur les usagers la plupart des coûts liés à la fourniture des services. Or, l’eau doit avoir un coût suffisamment abordable pour ne pas empêcher une personne de jouir de ses autres droits fondamentaux. C’est pourquoi, il est nécessaire d’encourager les usagers à participer à la gestion de l’eau dans la mesure de leurs moyens financiers et de prévoir des incitations à l’économie d’eau.
Cependant, tout ce que représente le secteur de l’eau en termes d’investissement est très élevé. Le conseil Mondial de l’eau a évalué le chiffre nécessaire à 100 milliards de dollars par an pendant vingt-cinq pour fournir l’eau et les services d’assainissement à ceux qui en ont besoin (9).

Si la date de 2015 est maintenue, Alain Mathys (10), tout comme la Banque mondiale, évaluent l’investissement à 180 milliards de dollars par an pour atteindre les ODM (alors qu’il est aujourd’hui à 80).

Il va de soi qu’outre l’investissement dans la mise en place de réseau d’assainissement et de réseau de distribution d’eau potable pour améliorer la desserte, l’accessibilité et les normes, les opérateurs, qu’ils soient publics ou privés, doivent prendre en compte les coûts liés à l’entretien des réseaux (11). Cela représente un coût supplémentaire, par rapport à la simple réalisation de l’objectif n° 7. Entre 1995 et 2005, le gouvernement brésilien, devant l’urgence et afin d’éviter la situation rencontrée à Buenos Aires, décida d’étendre les réseaux de transport, de distribution et de construire de nouvelles centrales de production pour un coût global de 64 milliards de dollars. La capitale de l’Argentine dénombrait, dans les années 90, 11 millions d’habitants. Or la situation était devenue critique : le réseau ne pouvait alimenter que 6 millions d’habitants et n’avait pas été amélioré depuis la Seconde Guerre mondiale ; le réseau d’épuration des effluents domestiques et industriels était inexistant. Seule une station d’épuration d’une capacité de fonctionnement pour l’équivalent de 300 000 habitants existait.



L’effort financier à porter est inégal selon les régions. En Afrique subsaharienne, il est trois fois supérieur à celui mené en Asie du Sud, en Amérique Latine, ou au Moyen-Orient, alors que le revenu de l’Etat et des habitants est largement plus faible (12). Cela signifie que pour 320 millions d’africains, les investissements additionnels sont estimés à 3,4 milliards de dollars, alors que les pays d’Afrique ne disposent que de 2,2 milliards de dollars.

C’est pourquoi la Banque Mondiale estime que 300 milliards de dollars seront nécessaires pour atteindre les Objectifs du Millénaire dans le souci de créer, d’étendre et de réhabiliter les réseaux d’eau (13).


(1) Les huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), ont été adoptés lors du Sommet du Millénaire qui s’est déroulé du 6 au 8 septembre 2000, au Siège des Nations Unies à New York.
(2) http://www.un.org/french/millenniumgoals/
(3) A Frerot, l’eau pour une culture de la responsabilité, p 52
(4) Programme des Nation Unies pour le développement
(5) A Frerot, op ciit, p 59
(6) La reconnaissance explicite d’un droit à l’eau en tant que droit humain a été affirmé dans deux conventions mondiales en vigueur, à savoir :
la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1980), et
la Convention relative aux droits de l’enfant (1989),ainsi que dans un traité régional : la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (1990). Les Conventions de Genève (1949, 1977) garantissent la protection des personnes civiles en temps de guerre.
(7) La réalisation de l’ODM n° 7 permettra de remplir les autres ODM, c’est-à-dire réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, préserver l’environnement, combattre le VIH, le paludisme et les autres maladies et promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Cela signifie que le manque d’accès à l’eau empêche la réalisation d’autres droits de l’Homme tels que le droit à la santé, à l’éducation, le droit à la nourriture et le droit à niveau de vie.
(8) Il s’agit de la Guinée, de la Guinée-Bissau, du Sierra Leone, de Sao Tomé et Principe, du Mali, du Niger, du Nigeria, du Cameroun, du Congo, de la République Démocratique du Congo, de l’Angola, du Lesotho, du Swaziland, du Burundi, du Mozambique, de Madagascar, de l’Ouganda, de la Somalie, de Djibouti, du Burundi, de la Namibie, de l’Ethiopie, de l’Algérie et du Maroc.
(9) Eau : Monde, Centre de documentation internationale, La Documentation Française
(10) Alain Mathys est le directeur du programme “Eau pour Tous” de SUEZ ENVIRONNEMENT depuis 1999. Dans sa fonction, il est responsable de coordonner les actions menées par SUEZ ENVIRONNEMENT pour l’amélioration de l’accès aux services d’eau et d’assainissement dans le cadre de ses contrats internationaux.
Avant de rejoindre le groupe, il a travaillé pendant 8 ans comme directeur régional du programme Eau et Assainissement de la Banque mondiale, en Afrique et en Amérique du sud. Alain Mathys a une expérience internationale étendue dans les domaines de l’eau, l’assainissement, l’environnement et le développement durable.
(11) Il est nécessaire dans un souci de qualité de réduire le nombre de fuites, de remplacer et d’étendre les réseaux existants et améliorer les technologies. Il faut également améliorer l’efficacité de la gestion et de la productivité des compagnies en charge du réseau . Toutes ces tâches effectuées par les entreprises de l’eau sont importantes, puisqu’elles font parties de l’investissement.
(12) www.academiedel’eau.org
(13) L Caramel, Eau : le partenariat public-privé, Le monde association, n° 18 614, 30 novembre 2004, p II