ANALYSES

L’ASIE au second semestre 2009

Tribune
10 juin 2009


Le 1er cercle : ultra-sensibilité et inquiétude


COREE du Nord
Entre provocations et essais (nucléaire du 25 mai), propos va-t-en guerre et mobilisation militaire, succession engagée (ou supputée) et pénurie alimentaire, volonté de dialoguer avec Washington et rejet des Pourparlers à 6, Pyongyang et son régime stalinien, Etat isolé sur lequel la communauté internationale n’a que fort peu de prises, mobilisera dans les semaines, les mois à venir une bonne partie de l’attention, de la tension également, de la communauté internationale. Elément imprédictible s’il en est du concert des nations, on peut en attendre tout et son contraire : poursuite du raidissement diplomatique et militaire, nouveaux tests nucléaires et balistiques, manœuvres navales et terrestres dans des régions sensibles (cf. en mer Jaune, autour de la Northern Limit Line), provocations multiples à l’endroit de Séoul et Washington… ; de même, il est tout autant concevable de penser que cette phase actuelle de tension dangereuse pourrait, la transition dynastique à présent quasi-officialisée (le Cher Dirigeant Kim Jong-il ayant ces derniers jours présenté son fils cadet Kim Jong-un comme son successeur), connaître un terme proche, ramener Pyongyang dans une matrice moins guerrière et la délégation nord-coréenne à la table des Pourparlers à 6 (désarmement nucléaire nord-coréen contre compensations diverses), chère à l’administration Obama.

AFGHANISTAN
Promise à la fois par les talibans et le commandement de l’OTAN (ISAF), l’offensive estivale aura probablement hélas bien lieu. La perspective des élections présidentielles d’août galvanise l’envie d’en découdre des talibans, d’affaiblir plus encore l’autorité (déjà très relative) de l’Etat, ce, alors que 21 000 nouveaux soldats américains sont attendus sur le sol afghan. Il n’est guère de chance que l’on assiste à une stabilisation rapide de ce théâtre de crise au second semestre 2009 ; il est en revanche bien plus probable qu’une nouvelle détérioration en balise le cours.


PAKISTAN : army vs Talibans
S’il semble en passe de s’avérer payant sur le terrain, l’engagement récent des troupes de la Pakistan army (la 6e au monde, tout de même) et de ses 15 000 hommes face aux talibans pakistanais, dans la désormais fameuse vallée de Swat (à moins de 100 km de la capitale Islamabad), on ne saurait y voir malheureusement la défaite définitive de ces défiants obscurantistes religieux. Au mieux, l’armée, le pouvoir, l’image du pays marquent des points ; mais le problème de la talibanisation du territoire et de l’insuffisante réponse structurelle des autorités (politiques, militaires) demeure en l’état. En toute hypothèse, il perdurera lors des 6 prochains mois, pour dire le moins.

Le second cercle : des dossiers à l’appréhension délicate

INDE-PAKISTAN
Alors que le Président pakistanais A.A. Zardari et le tout récemment confirmé à son poste 1er ministre indien M. Singh convenaient, chacun de leur côté ces jours derniers, de leur envie de reprendre la route apaisée d’un dialogue indo-pakistanais mis en sommeil depuis les attentats de Bombay (nov. 2008), la libération d’un islamiste pakistanais mis en cause dans cette tragédie provoque l’ire compréhensible de New Delhi. Ou comment jeter une ombre, comme un vague doute, sur le chemin chaotique que diplomatie indienne et pakistanaise sont censées emprunter (fortement encouragées par Washington…) dans les mois à venir. Ce, alors qu’une énième fois ces vingt dernières années, le nœud gordien des rapports New Delhi – Islamabad, le Cachemire, connait une nouvelle période de tension et d’incidents.


Le CACHEMIRE (Etat indien du Jammu et Cachemire)
Entre « agacement » à l’encontre des (pléthoriques) forces armées indiennes, manifestations, couvre-feu et violence dans la région de Srinagar (la capitale d’été et berceau emblématique de la vallée du Cachemire), les 1ers jours de juin augurent de ce que sera très certainement l’atmosphère locale de cette région autrefois idyllique (anté-1989) dans les prochains mois. La difficile reprise du dialogue (ne parlons pas de la confiance…) entre Islamabad et New Delhi emportera son lot de désagréments, comme de coutume, sur la situation sécuritaire dans la vallée, défiance entre les deux capitales voisines rimant historiquement avec tension et violence.


THAILANDE
L’Asie du sud-est pourrait – hélas pour elle – ne pas être épargnée par les désagréments politiques et leur cortège de manifestations d’ici la fin de l’année 2009. En Thaïlande tout particulièrement où, après trois années d’une instabilité gouvernementale de tous les instants, une rare valse des 1ers ministres et une kyrielle de manifestations monstres dans les rues (dans les aéroports également…) de Bangkok notamment, les différends comme les positions des uns et des autres demeurent figées dans la certitude. Soit, le gouvernement actuel du 1er ministre Abhisit Vejjajiva bénéficie du soutien du palais royal et de la bienveillance des forces armées (un soutien capital) ; toutefois, la « Thaïlande d’en bas », chère à l’ancien 1er ministre en exil Thaksin Shinawatra, crie toujours à la confiscation de la démocratie et au coup d’Etat déguisé. Du reste, elle a promis de se remobiliser, à l’échelon national, dans les tous prochains mois. Hélas pour la stabilité nationale et la réputation de cette belle nation sur la scène internationale, il y a fort à parier qu’elle tiendra parole.

Le 3e cercle : ces sujets à suivre (aussi…)

La CHINE tout d’abord.

Dans l’ex empire du milieu, l’année du bœuf est aussi celle des anniversaires, des commémorations à la saveur incertaine et aux conséquences imprévisibles pour Pékin. Une année où la vigilance des autorités est également exacerbée par un environnement économique inhabituel, héritage de la crise financière internationale n’épargnant pas la 3e économie mondiale. Du reste, alors qu’opposants, activistes et nostalgiques des événements tragiques de Tiananmen s’apprêtent à commémorer son 20e anniversaire, le régime, de Pékin à Hong Kong, est sur les dents. Il l’était déjà au 1er semestre lors du 50e anniversaire du soulèvement tibétain en mars dernier. Une célébration à minima, anesthésiée par les dispositions préventives des forces de l’ordre locales. En octobre prochain, il s’agira de célébrer plus dignement sans doute le 60e anniversaire de la République Populaire de Chine. Un événement que les autorités et le Parti Communiste entoureront autant de prévenance que de policiers.


NEPAL
Plus au sud, de l’autre côté de l’Himalaya, l’ancienne monarchie du souverain Gyanendra, toute récente République Fédérale (avril 2008), devrait connaître des prochains trimestres agités, tant la classe politique traditionnelle et les maoïstes (1ere force politique dans l’Assemblée Constituante) s’avèrent incapables de composer ensemble. Le gouvernement actuel du 1er ministre K. Nepal, coalition de … 22 partis différents, doit se passer de la coopération des maoïstes. Ces derniers, s’ils ont baissé les armes pour intégrer ces dernières années la voie politique, ne les ont pas pour autant rendu ni renoncé à toute ambition gouvernementale. De quoi façonner une trame politique pour le moins instable au second semestre 2009.


SRI LANKA
Dans cette ile de l’océan Indien où le plus ancien conflit civil d’Asie à tout juste pris fin, d’autres batailles décisives attendent à présent le gouvernement de Colombo et son triomphant président Rajapaksa : celle prioritaire de procurer aux 300 000 réfugiés civils tamouls, récents déplacés des combats derniers mois, des conditions de (sur)vie moins sordides que celles des inhospitaliers camps de fortune où carence et précarité règnent en maître ; celle ensuite d’insuffler dans ce pays balafré par vingt-six longues années de guerre une atmosphère de réconciliation nationale, de respect des différences, des particularités culturelles et religieuses. Ayant (lui aussi) beaucoup à se faire pardonner par ses concitoyens (tamouls surtout) et par la communauté internationale (témoin impuissant des dernières semaines de conflit et de bilan de victimes civiles outrageusement élevés), gageons que le Président Rajapaksa saura opportunément placer le curseur vers davantage de compréhension, de dialogue et d’équité.


Ces différents théâtres aux particularités, implications régionales et internationales fort disparates, ne manqueront pas de façonner, plus souvent qu’à leur tour, l’actualité asiatique des prochains mois. Et cet aperçu est certainement bien loin de l’exhaustivité ; ainsi, il serait également fort surprenant que la Birmanie des généraux et de la « Dame » embastillée ne fasse pas parler d’elle d’ici la fin de l’année, ou encore que le fier Japon, sujet à une récente instabilité gouvernementale pathologique – alors que se profilent des élections législatives en Septembre -, demeure dans l’anonymat jusqu’en décembre. Enfin, notons pour clore cette brève esquisse que la crise financière (Japon ; Chine) et la gangrène terroriste (Inde ; Pakistan ; Afghanistan) impactant significativement la région jusqu’alors, on ne saurait par avance sous-estimer leurs probables futures conséquences collatérales sur le devenir de ce puzzle asiatique regroupant près d’un individu de la planète sur deux.