ANALYSES

Le dilemme nord-coréen d’Obama

Tribune
29 mai 2009
Pyongyang ne succombe pas à l’Obamania

Contrairement à de nombreux Etats, la Corée du Nord ne semble pas franchement avoir succombé à la vague d’Obamania. Au contraire, l’arrivée à la Maison-Blanche d’un président qui cherche à accentuer le dialogue avec Pyongyang a paradoxalement eu pour effet de radicaliser encore un peu plus le régime nord-coréen. Un paradoxe en apparence tout du moins, et pour plusieurs raisons. D’une part, les essais de la Corée du Nord, annoncés de longue date, ne sont pas une grande surprise, notamment quand on mesure les tensions actuellement au plus haut niveau avec le Japon. A cela s’ajoutent les problèmes de santé de Kim Jong-il et, dans une moindre mesure, le récent suicide de l’ancien président sud-coréen Roh, partisan du dialogue avec le voisin du nord. D’autre part, les nouveaux efforts diplomatiques de Washington inquiètent Pyongyang, qui se satisfait plus d’un interlocuteur refusant toute concession, ce qui lui permet de pousser le chantage à son paroxysme en justifiant une radicalisation de sa position par le refus du compromis de la première puissance mondiale. En d’autres termes, la Corée du Nord a tout à craindre d’une Amérique qui se montre plus conciliante, comme c’était le cas en 2000 avec les initiatives de Madeleine Albright, tant sa stratégie de survie est fondée sur la menace permanente. Dans ces conditions, il était prévisible de voir Pyongyang (qui n’est de toute façon que rarement imprévisible) réagir négativement à la main-tendue par la Maison-Blanche, même si cela masque difficilement les limites d’une stratégie sur le fil du rasoir qui se détermine avant tout par les postures de l’autre.

Et maintenant ?

Les Etats-Unis ne peuvent se permettre de laisser filer le nouvel essai nucléaire nord-coréen sans réagir. Et les réponses ne se sont pas faites attendre. Hillary Clinton a averti la Corée du Nord qu’elle fera face à des conséquences en raison de ses actions « provocatrices et agressives », notamment les menaces d’attaque militaire contre des navires américains et sud-coréens. A cette déclaration vient s’ajouter celle de Barack Obama en direction de Séoul et Tokyo, assurant à ces deux alliés de Washington une protection en cas d’agression nord-coréenne. Un soutien qui masque difficilement les inquiétudes américaines à l’égard de deux pays dont les réactions pourraient avoir des effets durables sur le dossier. La démarche de Washington consiste ainsi plus à s’assurer que ces deux Etats ne se lancent dans une logique de confrontation qu’un véritable soutien face à une Corée du Nord dont les moyens restent somme toute limités. Car plus que l’utilisation par la Corée du Nord de son arsenal nucléaire, le plus grand risque sécuritaire dans la région reste la riposte de ses voisins.

La diplomatie de la main-tendue remise en question ?

Pour les détracteurs et les sceptiques de la politique de main-tendue d’Obama, l’exemple de la Corée du Nord confirme en tout cas que seule la fermeté peut payer. C’est bien sûr le cas de l’opposition républicaine aux Etats-Unis, qui s’inquiète de voir Washington perdre en crédibilité. C’est aussi le cas du Premier ministre japonais Taro Aso qui, derrière ses relations cordiales avec le nouveau président américain, s’inquiète de la volonté américaine de rapprochement avec Pyongyang (en compagnie des faucons japonais dont il est l’un des principaux représentants), et voit dans le durcissement du dossier nord-coréen une occasion de retrouver un second souffle avant des élections législatives à haut risque en septembre prochain. C’est enfin le cas du président sud-coréen Lee Myung-bak, partisan de la fermeté avec Pyongyang, qui voit dans les nouvelles gesticulations de son voisin l’occasion de regagner une certaine crédibilité, dans un Etat frappé de plein fouet par la crise économique, et qui lui accorde une très faible popularité.

Pour autant, et malgré la détermination de Washington, il serait erroné de croire que la stratégie de main-tendue en direction des Etats voyous d’Obama a déjà vécu. Les gesticulations de Pyongyang indiquent même qu’il s’agit sans doute de la meilleure approche possible, la seule susceptible de couper l’herbe sous le pied de régimes prêts à tous les extrémismes. Avec les errements de l’administration Bush et l’agressivité de la politique américaine sous la précédente administration, les manœuvres nord-coréennes pouvaient parfois être défendables. Aujourd’hui, le régime stalinien se retrouve définitivement isolé et montré du doigt, y-compris par ses rares amis, qui prennent de plus en plus leurs distances, comme la Russie et la Chine. En d’autres termes, et malgré des tensions difficiles à gérer, la réponse de Pyongyang est la preuve que la stratégie du dialogue de l’administration Obama est la seule qui peut payer.

*Barthélémy Courmont est également titulaire par intérim de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) à partir de septembre 2009. Il a publié en 2008 L’autre pays du matin calme. Les paradoxes nord-coréens , chez Armand Colin.