ANALYSES

Rapprochement américano-iranien : realpolitik et discorde moyen-orientales

Tribune
27 mars 2009
Mais à y regarder de plus près, ce rapprochement n’a pas dépassé le stade des intentions et les actes du nouveau président états-unien s’inscrivent dans la continuité. Le 12 mars, M. Obama a annoncé par décret le renouvellement des sanctions qui étouffent l’économie iranienne depuis 1995. Quelques jours avant, le 23 février, la nomination de Dennis Ross, soutien affiché d’Israël, comme conseiller spécial de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton pour le Golfe et pour l’Asie du sud-ouest avait déjà semé le trouble.

Si Barack Obama souhaite se démarquer de George W. Bush dans l’usage de l’unilatéralisme et de la violence, sa diplomatie s’approche désormais plus d’une realpolitik visant tout de même à perpétuer l’influence des Etats-Unis. L’objectif reste le même, mais les moyens diffèrent. Une véritable offensive diplomatique a donc été lancée depuis le début de l’année 2009. Elle vise à isoler l’Iran de ses alliés afin de faire évoluer ses positions.

Le New York Times a révélé le 2 mars qu’une missive secrète aurait ainsi été adressée au président russe, Dimitri Medvedev, afin de l’amener à empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire en échange d’un renoncement au bouclier anti-missiles devant être installé en Pologne et République tchèque. Moscou est en effet le principal partenaire économique de l’Iran et a construit la centrale nucléaire de Bushehr où l’on procède actuellement à des tests en vue de sa mise en service. Le programme nucléaire iranien, officiellement civil, dépend donc directement de la bonne volonté russe.

Début mars, la deuxième phase de cette offensive fut lancée. Tandis qu’Hillary Clinton faisait halte à Jérusalem le 4 mars, elle annonçait l’arrivée imminente d’émissaires américains à Damas. Ces émissaires, Jeffrey Feltman et Daniel Shapiro rencontrèrent le chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem (premier contact de haut-niveau depuis l’assassinat de Rafik Harriri en 2005).

Cette stratégie vise à appuyer le retrait américain en Irak et le « surge » prévu en Afghanistan. Les troupes états-uniennes devraient se retirer à la fin du mois d‘août 2010 d’Irak, avant un retrait total l’année suivante. 17 000 hommes supplémentaires devraient par contre être envoyés en Afghanistan. Les véritables garants de la réussite de ce pari d’Obama sont l’Iran et la Syrie. Il serait difficile de les ignorer plus longtemps. Barack Obama s’emploie par conséquent à les séduire individuellement, quitte à provoquer des dissensions.

L’Afghanistan reste également une priorité et un dialogue avec les talibans modérés est envisagé, couplé à la proposition d’une conférence internationale où participerait l’Iran prouve clairement que les Etats-Unis comptent sur l’influence positive de l’Iran dans l’équilibre géostratégique de la région. Un « deal » possible entre les deux pays serait la reconnaissance du statut d’acteur régional de l’Iran et son retour dans le concert de nations, contre le renoncement à son programme nucléaire. Le rapprochement voulu par Barack Obama devrait pourtant rapidement faire face à de nouveaux avatars causés par un nouveau gouvernement israélien ainsi que par l’agitation politique qui agite en ce moment l’Iran, à trois mois des élections présidentielles.

Israël voit évidemment d’un mauvais œil le rapprochement amorcé entre Etats-Unis et Iran. Benyamin Netanyahou, chef du Likoud, tente de former une coalition grâce au délai supplémentaire qui lui a été accordé et appelle à l’union nationale contre l’Iran en vue de rallier les groupes politiques modérés, mais il est tiré à droite par le parti ultra-nationaliste Israel Beitenou. Sans le ralliement de Kadima, dirigé par Tzipi Livni, l’instabilité guette et le pays risque de se mettre en porte-à-faux avec la communauté internationale. Le leader d’Israel Beitenou, Avigdor Lieberman, tempère donc ses positions sur l’Iran afin de rester un candidat sérieux au poste de ministre des affaires étrangères. Dans une interview accordée au Washington Post le 28 février, il reconnaît qu’une action militaire contre le territoire iranien aurait des conséquences plus que néfastes Mais ce pays et les groupes politico-religieux qu’il soutient (Hamas et Hezbollah) sont cependant toujours vus comme des menaces. Une avancée sur la question du Golan permettrait à tout le moins de faire avancer les négociations de paix avec la Syrie.

Enfin, le principal obstacle de la réconciliation américano-iranienne est l’Iran elle-même. Alors que la main tendue par les Etats-Unis s’apprêtait à être saisie par le chef du parlement, Ali Larijani, et par l’ex-président Hachemi Rasfandjani, et malgré l’accueil favorable réservé aux paroles du président Obama, le guide suprême Ali Khamenei vient de déclarer froidement que seuls des changements concrets du côté américain entraîneront des changements dans l’attitude iranienne. Les luttes politiques s’exacerbent parallèlement tandis que s’éloigne la possibilité d’un retour des réformateurs au pouvoir. Mohammad Khatami s’est en effet désisté afin d’assurer l’unité de son parti derrière le versatile Mir Hossein Moussavi.

Barack Obama a déclaré ne pas vouloir attendre les élections présidentielles iraniennes pour parvenir à une réconciliation entre les deux pays ennemis mais aura-t-il le choix ? Celui dont le nom signifie littéralement en farsi « celui (qui est) avec nous » devra aller bien au-delà des symboles pour rapprocher les Etats-Unis d’Amérique et la République islamique d’Iran.