ANALYSES

La crise financière en Europe de l’Est, révélatrice des faiblesses de l’Union

Tribune
13 mars 2009
Le sommet européen extraordinaire du 1er mars devait, entre autre, évaluer la situation économique et financière des Etats d’Europe de l’Est, membres de l’Union Européenne. La Hongrie, sous perfusion du Fonds Monétaire International, tout comme la Lituanie et la Lettonie, demandait un plan d’aide urgent pour l’Europe de l’Est de la part de l’Union Européenne, d’un montant compris entre 160 et 190 milliards d’euros. Un chiffre important, justifié par la difficile situation économique de la région. Lors de la transition économique, les PECO ont rapidement privatisé leur secteur bancaire, racheté par des banques d’Europe occidentale (allemandes, italiennes, autrichiennes et suédoises essentiellement). Or, face à la crise financière globale, ces banques de l’Ouest ont tendance à rapatrier des capitaux, générant ainsi une situation de « credit crunch » dans les pays de l’Est, encore plus forte de celle qui est ressentie en Europe de l’Ouest. La machine économique se retrouve ainsi totalement grippée dans ces pays, et certains Etats commencent à avoir de sérieux problèmes de refinancement de leur dette publique. Pour ne rien arranger, des attaques spéculatives ont commencé à viser les devises des pays de la région (le zloty polonais a perdu, pour ne citer qu’un exemple, 50% de sa valeur face à l’Euro). La Slovaquie et la Slovénie, ayant déjà intégré la monnaie unique, sont, quant à elles, beaucoup mieux protégées face à la crise, même si un phénomène de différenciation des taux d’intérêts demandée aux Etats membres de la zone Euro (élargissement du spread ) menace leur stabilité. En gros, si l’Allemagne, réputé stable, peut refinancer sa dette à des conditions proches du taux d’intérêt établi par la Banque Centrale Européenne, d’autres (Slovaquie, Slovénie, mais également les Etats les plus endettés de la zone euro) obtiennent des refinancements à des taux de plus en plus élevés, alourdissant leur note et réduisant les marges de manœuvre des gouvernements.

Les chefs d’Etat et de gouvernement européens, réunis à Bruxelles le 1er mars, ont rejeté la demande hongroise évoquée précédemment, mais le Ministre des finances allemand, Peer Steinbrück, pourtant réputé comme étant un faucon de l’orthodoxie monétaire, a affirmé que l’Allemagne était prête à aider les pays en difficultés, s’attirant ainsi les foudres de Jurgen Stark, le membre allemand du Directoire de la Banque Centrale Européenne. Pourquoi une telle colère ? La raison est simple : lors du processus d’intégration des marchés européens, puis de la création de la monnaie unique, le manque de solidarité a primé. Le Traité de Maastricht ne prévoit en effet aucune obligation pour les Etats membres de l’UE d’aider un de leurs pairs en difficultés économique ou financière, la philosophie sous-jacente étant celle de la responsabilité individuelle. Le manque de solidarité devrait obligé les Etats les moins rigoureux à faire attention à leurs déficits publiques. Comme si on vous disait qu’en vous privant d’assurance maladie, vous feriez plus attention à ne pas attraper un cancer.

Cette situation est symptomatique de l’état actuel de la construction européenne. L’Union actuelle ne dispose d’aucun mécanisme de solidarité dans les domaines régaliens, que ce soit en matière de défense ou en matière financière. De la même manière, l’élargissement de la coopération judiciaire est depuis toujours un des dossiers les plus problématiques. Bref, les 27 Etats membres de l’UE font partie d’une Union pas si unie que cela. L’organisme chargé de représenter l’intérêt commun européen, la Commission européenne, a entre temps disparu des écrans radar. Sur n’importe quel dossier fondamental de ces derniers mois, il fut inutile d’attendre une réaction de la Commission, pourtant composée de 27 membres, pour satisfaire les appétits de tous ses Etats. Le Président de la Commission, M. Barroso, a en effet entamé depuis plusieurs mois sa campagne électorale pour obtenir un renouvellement de son mandat. Sa stratégie est la suivante : en faire le moins possible pour ne froisser personne. S’il a totalement réussi la première partie de sa stratégie, la deuxième semble menacée, si on en croit les bruits de couloirs estimant sa réélection de plus en plus improbable, le Président Sarkozy ayant été notamment agacé par l’absence de réactivité de M. Barroso face à la crise.

Mais pourquoi alors Sarkozy serait-il responsable, selon certains, de l’état comateux des institutions européennes ? Parce que si son hyper-activisme a donné l’impression que l’UE était de retour sur la scène internationale, la réalité paraît aujourd’hui bien différente. Avoir le Président français à la tête du Conseil de l’Union Européenne est une chose, avec le prestige diplomatique d’une puissance comme la France, l’activisme et le volontarisme de son Président. Avoir le Premier Ministre tchèque à la tête d’un gouvernement affaibli et marqué de près par un Président, Vaclav Klaus, pour lequel le Parlement Européen ressemble au Soviet Suprême, en est une autre. Et que, entre temps, l’hyperactivisme de M. Sarkozy a donné le coup de grâce à une Commission totalement affaiblie par son Président, mais également par l’évolution de l’actualité. Fini le bon temps de Jacques Delors et des initiatives politiques, la Commission européenne avait trouvé depuis deux décennies sa raison d’être dans le développement du marché commun, de la politique de concurrence, de l’élargissement, des négociations commerciales, etc. Le credo libériste étant en disgrâce, et la question d’élargir encore un ensemble qui ne semble plus avoir ni tête ni queue et incapable d’un minimum de solidarité n’étant pas à l’ordre du jour, toutes ses prérogatives se réduisent comme peau de chagrin. Le Parlement européen, qui doit être renouvelé en juin, lors d’élections qui risquent de rentrer dans l’histoire pour son plus bas taux de participation et par la poussé des partis populistes partout en Europe, n’est pas mieux loti.

Comment sortir, alors, de cette situation ? L’adoption rapide du Traité de Lisbonne pourrait aider, avec les avancées institutionnelles connues. Encore faut il que les Irlandais votent pour en octobre 2009 lors du deuxième référendum qui se tiendra à ce sujet dans ce pays, et que le Président tchèque accepte de signer la ratification du Traité. Mais les institutions ne peuvent rien sans les hommes et les idées. Ce qu’il faut c’est un retour de la « Politique » avec un grand « P » et des initiatives concrètes. Jean-Claude Junker, premier ministre du Luxembourg, propose d’européaniser une partie de la dette des Etats membres, le 40% très exactement. Les 27 réunis pourraient ainsi obtenir un meilleur taux d’intérêt et retrouver des marges de manœuvre financière. Les 60% restants seraient toujours à la charge des Etats-nations, qui auraient tout intérêt à réduire cette dette devenue plus chère que celle européanisée. Cette mesure pourrait s’accompagner de la création de titres de la dette européens (les euro-bond ), et pourraient financer des projets d’intérêt général (comme l’économie verte, la modernisation des infrastructures, des capacités militaires, etc.). Voici enfin une bonne idée. Reste à la mettre en pratique.


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