ANALYSES

Le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Omar el-Bechir

Tribune
9 mars 2009
Le conflit du Darfour qui a débuté en avril 2003 a fait à ce jour selon l’ONU 300.000 morts par violences et famines, et plus de 2,7 million de réfugiés. Il oppose notamment le Sudanese People’s Liberation Army (SPLA) et le Justice and Equality Movement (JEM) aux forces du gouvernement et aux milices Janjawid (cavaliers du diable ou bandits armés de kalachnikov par le gouvernement). Ces milices s’en prennent surtout aux civils notamment aux femmes. Les principaux enjeux de la guerre sont environnementaux (sécheresse, stress hydrique, recherches de terres arables pour les éleveurs « arabes » face aux agriculteurs « arabisés »), pétroliers (accès aux gisements) et ethno-politiques de la part du régime de Khartoum contre les Fur. Le Darfour dispose par ailleurs de réserves pétrolières importantes.

Les grandes puissances sont aussi concernées par la décision de la CPI. L’enjeu du Darfour est stratégique. Ce conflit est directement imbriqué avec ceux du Tchad et il fait tâche d’huile notamment en Centre Afrique. Sont directement impliqués du côté de Khartoum la Ligue arabe, la Chine, l’Iran et la Russie, et du côté des Fur et Zaghawa le Tchad, la Libye, la France et les Etats-Unis. La Chine a longtemps opposé son veto au Conseil de sécurité des Nations unies en raison de ses intérêts pétroliers au Soudan. Les Nations unies ont enfin permis la mise en place d’une force hybride MINUAD de 26.000 hommes qui s’est déployée début 2008. Quant au mouvement « Sauver le Darfour », fondé sur une mobilisation des défenseurs des droits élémentaires, elle n’est pas absente d’arrière-pensées des stratèges américains ou français. Les enjeux géopolitiques sont en effet pétroliers, hydrauliques et concernent la possibilité de modifier la donne politique au Soudan par alliance entre le Sud et le Darfour. On retrouve ainsi en arrière-plan des enjeux de contrôle et d’évacuation du pétrole par les grandes puissances occidentales et chinoises par la Mer rouge ou le Golfe de Guinée.

Avant la décision de la CPI, des avancées dans le processus de paix avaient été observées. Le plan français de paix (datant de septembre 2008) reposait sur quatre conditions : traduction devant la justice des responsables visés par le mandat d’arrêt de la CPI ; lever les obstacles au déploiement de la force internationale au Darfour (MINUAD) ; relancer un processus de dialogue entre les forces rebelles et le gouvernement ; normaliser les relations entre le Soudan et le Tchad. Le 17 février 2009, un accord avait été signé entre le gouvernement de Khartoum et le JEM mais les autres forces rebelles, notamment l’ALS, n’étaient pas parties prenantes. La décision de la CPI a rendu caduque cet accord pour le JEM.

Cette décision a été bien accueillie dans les camps de réfugiés et chez les forces rebelles. La réaction de Khartoum a été l’expulsion d’une dizaine d’ONG et l’organisation de manifestations. Omar el-Bechir a été soutenu par la Chine, la Russie, la Ligue arabe et l’UA. Celle dernière a demandé que le Conseil de sécurité suspende la décision de la CPI. Si les défenseurs des droits de l’homme applaudissent, la CPI est accusée, notamment par l’Afrique, de défendre les intérêts occidentaux et de focaliser ses condamnations sur les dirigeants du Sud.

Au final, cette décision est plus symbolique qu’effective. La CPI ne dispose pas de forces de police et l’application de cette décision suppose la coopération des Etats. Omar el-Bechir ne peut être arrêté sur le sol soudanais et bénéficie de l’immunité présidentielle à l’étranger. Il doit se rendre au sommet de la Ligue arabe à Doha fin mars. La question est évidemment de savoir si cette décision juridique n’ira pas à l’encontre d’avancée diplomatiques.