ANALYSES

De l’impulsion des pays du Golfe dans l’essor des énergies renouvelables.

Tribune
13 février 2009
La liste des invités comptait de notables figures des sphères politique et industrielle, telles qu’Andris Piebalgs, le commissaire européen en charge de l’Energie, l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair ou encore les ministres du pétrole et du gaz d’Oman, de Bahreïn et des Emirats Arabes Unis. Plus qu’une rencontre d’acteurs politiques dressant un bilan global sur les questions énergétiques, la réussite de l’évènement tient au fait qu’il a regroupé l’ensemble des secteurs impliqués dans le développement d’énergies renouvelables, permettant des rencontres et des dialogues constructifs entre investisseurs, producteurs, acheteurs potentiels, experts et politiciens.

Aussi peut-on s’étonner que ce Sommet se tienne à Abu Dhabi, capitale du 3ème plus gros producteur de l’Opep, se rangeant à la 5ème position mondiale des réserves prouvées de pétrole et à la 4ème pour le gaz. Plus surprenant encore, les Emirats Arabes Unis possèdent l’empreinte écologique la plus élevée au monde, consommant plus de ressources naturelles per capita qu’aucun autre, selon un rapport de 2008 de la World Wide Fund for Nature . Loin d’être anodin ou le fruit du hasard, la présence du Sommet à Abu Dabi résulte de la volonté des EAU de s’inscrire à l’avant-garde des technologies et de la recherche dans le domaine des énergies ‘vertes’. Avec l’objectif de rester un acteur international incontournable dans un futur post-hydrocarbure, les EAU jalonnent depuis quelques années leur route de projets convergeant vers les énergies nouvelles.

Conduit par le conglomérat d’entreprises Masdar, compagnie des énergies futures détenue par le gouvernement d’Abu Dhabi, le plus ambitieux projet reste incontestablement la création de Masdar City, la première ville 100% écologique n’émettant aucun dégagement de CO2. Le sultan Al-Jaber, chef exécutif de Masdar, a investi 22 milliards de dollars pour la construction de cette ville pionnière, destinée à accueillir d’ici 2015, en plus de 50 000 habitants, l’Institut de Sciences et de Technologie Masdar, développé en coopération avec le Massachusetts Institute of Technology, dont le but sera d’améliorer la recherche domestique en énergies renouvelables, ainsi qu’un Groupe Industriel de Haute technologie Masdar, soit une zone de 4 km² destinée à attirer des entreprises de l’industrie solaire ou ‘verte’. Confiée au cabinet d’architectes britannique de Norman Foster, Masdar City s’appuiera sur plusieurs principes clés afin de réduire au maximum son empreinte écologique. La ville devrait ainsi principalement fonctionner grâce à l’énergie solaire. Afin de réduire l’impact de la chaleur et le besoin en air conditionné, les rues, étroites et ombragées, égraineront des bâtiments orientés principalement au Nord-Est, tout en étant équipés de collecteurs et de panneaux photovoltaïques pour satisfaire les besoins en électricité. De même, les planificateurs prévoient de recycler 80% de l’eau, l’utilisant autant de fois que possible. Dans la même dynamique, la ville se dotera de structures et de matériaux réutilisables, afin de prolonger le cycle de vie des matières, tout comme seront mis en place des systèmes permettant de convertir les déchets en énergie. Dernier point original, Masdar City bannira les voitures classiques. A leur place, la ville s’équipera d’un ‘système personnel de transit’, c’est-à-dire des voitures électriques ou solaires s’organisant tel un réseau de métro, à la différence qu’il sera possible de programmer leur destination. Le maître mot serait donc un recyclage intensif et une conception d’origine permettant de réduire autant que possible les besoins énergétiques. Selon ces principes, les promoteurs espèrent une baisse de la consommation d’énergie de 75%, et de la consommation d’eau dessalée de 80%.

Que le projet convainque ou laisse sceptique quant à la réussite de ses ambitions énergétiques, il fait l’unanimité sur un point essentiel : il a le mérite de tenter l’expérience. D’autant que porter un tel projet implique un financement colossal et soutient, voire même revitalise, des pans de l’industrie ‘verte’ qui trouvent difficilement les investissements dont ils ont besoin en Occident. Malgré la crise financière et économique actuelle, les EAU maintiennent leur politique d’investissement dans les énergies renouvelables. Le gouvernement d’Abu Dhabi a ainsi annoncé lors du Sommet sa volonté de produire au moins 7% de sa capacité de production énergétique par le biais d’énergies renouvelables d’ici 2020. Il a aussi annoncé un nouvel investissement de 15 milliards de dollars dans ce domaine, la même somme que celle proposée par le président Obama pour l’ensemble des Etats-Unis. Sous la houlette de Masdar, un prix international d’1,5 million de dollars a été institué pour encourager l’innovation dans le champ des énergies propres et du développement durable. Cette synergie d’efforts consentis pour le secteur énergétique alternatif incite d’ailleurs certaines industries polluantes à expérimenter de nouvelles solutions afin de remporter des marchés prometteurs.

Le Zayed Future Energy Prize, décerné pour la première fois fin janvier 2009, les initiatives entreprises par Masdar, les participations massives des EAU dans des fonds d’investissement étrangers pour les énergies propres mais aussi les millions de dollars investis dans les projets de recherche d’universités prestigieuses de par le monde, fournissent une excellente tribune au gouvernement émirati. A l’occasion de la création de l’IRENA, l’Agence Internationale pour les Energies Renouvelables, dont la conférence fondatrice s’est tenue à Bonn le 26 janvier, le ministre des Affaires Etrangères des EAU, HH Sheikh Abdullah Bin Zayed Al Nahyan a prononcé une plaidoirie convaincante pour que le siège de l’Agence s’établisse à Abu Dabi.

D’autres pays de la péninsule arabique ont compris l’intérêt de cette dynamique nouvelle. L’Arabie Saoudite et le Qatar, qui ont vu leur économie s’envoler grâce aux hydrocarbures, entendent bien eux aussi compter dans la relève en matière d’énergies futures. La nouvelle Université de Sciences et Technologies du Roi Abdullah (Kaust) a ainsi, entre autre, accordé 25 millions de dollars à Stanford l’an dernier pour initier un centre de recherche destiné à rendre le cout de l’énergie solaire compétitif. Le Qatar s’implique pour sa part davantage dans les énergies éolienne et hydraulique, infusant aussi de larges fonds dans des projets environnementaux britanniques, formalisés notamment avec Gordon Brown en novembre 2008.

Pour autant, les nations arabes ne portent pas d’œillères sur le sujet énergétique, et leur regard se porte également vers l’énergie nucléaire. Comme en témoignent les protocoles d’accord signés par les EAU avec le consortium français Total-Areva-Suez pour la construction de deux centrales nucléaires en janvier 2008 ou le récent accord de coopération sur l’énergie nucléaire signé avec les Etats-Unis, les acteurs majeurs du secteur nucléaire s’intéressent eux-aussi au potentiel des pays du Golfe. D’autant des sujets stratégiques plus politiques, tel que la rivalité avec l’Iran, entrent alors en ligne de mire et créent d’autres leviers à utiliser de part et d’autre.
En fin de compte, les pétrodollars de la péninsule arabique constituent (ironiquement ?) la majeure source d’investissement des projets énergétiques alternatifs. Emmené par les EAU, le centre de gravité des nouvelles technologies dédiées aux énergies propres pourrait basculer vers cette région, dotée d’un potentiel solaire indéniable.


(1) Ce qui représente une belle progression en comparaison des 3000/4000 visiteurs de la première édition du Sommet de Janvier 2008.