ANALYSES

Les vraies raisons de la crise à Madagascar

Tribune
6 février 2009
La crise qui paralyse Madagascar depuis maintenant quinze jours n’est pas une surprise pour qui s’intéresse à ce pays. Les signaux d’alerte se multipliaient depuis deux ans et il aura fallu qu’un homme capable de fédérer les mécontents prenne la tête d’un mouvement d’opposition éclaté. Pour beaucoup, l’opposition tient une responsabilité certaine dans la situation actuelle tant elle est restée prisonnière de ses propres luttes intestines. En 2005 déjà, le CRN, plate-forme de l’opposition, annonçait la constitution d’un gouvernement de transition. Il n’en a rien été, chacun laissant l’autre prendre la responsabilité d’un telle démarche. L’opposition à Madagascar n’a par la suite brillé que par sa parcellisation lors des élections présidentielles de décembre 2006 et des législatives de septembre 2007, où aucun front commun n’a pu être constitué. Le résultat a été une réélection du Président de la République malgache avec une Assemblée Nationale dont il contrôle 108 des 127 sièges!
Il ne faut cependant pas négliger un facteur bien plus explicatif de cette hégémonie, à savoir la mainmise du Président sur les élections. Celui-ci promettait pourtant en 2002 que sa priorité serait de réformer le code électoral, afin d’octroyer une indépendance au Conseil National Electoral et à la Haute Cour Constitutionnelle, afin d’instaurer un bulletin unique, un partage du temps de parole dans les médias, un plafonnement financier des élections…Sept ans plus tard, on sait qu’il a utilisé un ATR acheté à Toulouse pour parcourir ses circonscriptions, qu’il a fait de sa chaîne de télévision MBS un outil de propagande, et qu’il a joué de malice avec la Haute Cour Constitutionnelle pour empêcher certains candidats de se présenter aux élections législatives de septembre 2007. Mieux, il a confié aux chefs de fokontany (chefs de quartier), pour 80% analphabètes, la délicate fonction d’établir les listes électorales. Or, il a dans le même temps pris soin de priver ceux-ci de leur indépendance en les faisant nommer par les chefs de district, eux-mêmes désignés par les Chefs de Région, eux-mêmes choisis par…le Président de la République (mais à titre transitoire avait-il promis il y a sept ans !). Le Président a trouvé un néologisme hybride qui réconcilie ces contradictions : « la déconcentralisation ». De fortes pressions ont ainsi été exercées sur ces chefs de fokontany lors des législatives de septembre 2007…

Dans ce contexte là, comment le Président pourrait-il accepter un gouvernement de transition, dirigé par le Maire, qui modifierait un code électoral assurant une réélection à Marc Ravalomanana ? Certains expliquent que la pression qui sera exercée sur le Président dans les prochains mois l’empêchera de jouer avec la loi. Certes…pourtant le SEFAFI (l’Observatoire de la vie publique), le CNOE (Comité National d’Observation des Elections) ou encore le CONECS (Conseil National Economique et Social) ont maintenu une pression permanente sur le Président depuis quelques années, sans grand résultat.
Si l’opposition et le Président se partagent donc des responsabilités dans la crise, le terreau de celle-ci est avant tout social. Souvenons nous des signaux d’alerte : les élections présidentielles de 2006 avaient entraîné une abstention record (moyen pour un peuple démuni de pouvoir exprimer son mécontentent). En avril 2007, des étudiants lancent un fort mouvement de protestation contre le pouvoir dans la plupart des grandes villes de Madagascar exception faite d’Antananarivo (le Maire étant à l’époque un proche du Président, tout comme le préfet, la situation avait été verrouillée). Le mouvement prend une ampleur sans précédent depuis 2002 et commence à s’en prendre directement aux intérêts privés du Président (Magro essentiellement). En mars 2008, au stade de Mahamasina d’Antananarivo, des milliers de supporters s’adonnent à des pillages d’une rare violence à la fin du match. Quelques mois plus tard, un opposant de toujours, Henri Lecacheur, tente de mener la fronde…un essai manqué, que le Maire d’Antananarivo aura su marquer en ce mois de janvier 2009.
Il aura fallu trois éléments déclencheurs pour convaincre une population sous tension de se mobiliser : l’affaire Daewoo fin novembre 2008, déjà âprement relatée, l’achat par le Président de la République d’un Boeing 737 d’une valeur de 60 millions de $ et surtout la fermeture de la télévision Viva du Maire de Tana, l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Pourtant, il ne fait aucun doute que le mouvement prend racine dans un contexte social délicat : un litre d’essence supérieur à un euro, un sac de riz quasiment au prix du SMIC, soit près de 30 euros…

Mais si la population s’inquiète que la pauvreté ne soit pas éradiquée, c’est aussi un ensemble hétéroclite de franges de la société qui exprime son mécontentement. Il y a tout d’abord des entrepreneurs malgaches trop souvent lésés par les interventions du Président pour favoriser son entreprise Tiko. Sans les citer, certains gravitent dans l’entourage du Maire. Le Président s’est également mis à dos l’Eglise catholique, qui, bien que préservant une neutralité officielle, ne cache plus les différends qui l’oppose au chef d’Etat protestant et vice Président laïc de l’Eglise réformée. Le Président Ravalomanana doit également faire face à une fronde massive des villes côtières de province qui voient d’un mauvais œil la « merenisation » présumée du pouvoir, notamment depuis la nomination en janvier 2007 de Charles Rabemanjara à la primature, rompant ainsi le pacte non écrit qui veut qu’un Président Merina nomme un 1er Ministre côtier. Enfin, le Président s’est coupé d’une partie de la haute société tananarivienne qui a mal vécu de voir ses privilèges remis en question par Tiko ou ses terres spoliées par l’Etat. Sur tous ces groupes aux intérêts bien différents viennent se greffer certains opposants de toujours qui ont vu dans Andry Rajoelina une fenêtre d’opportunité dans laquelle s’engouffrer, au premier rang desquels figure Roland Ratsiraka, le seul à pouvoir se prévaloir aujourd’hui d’une popularité nationale.

Ce rassemblement de déçus autour d’un homme providentiel n’est pas sans rappeler la situation de 2002, où le Maire de Tana, Marc Ravalomanana, avait brusquement surgi sur le devant de la scène à l’approche des élections présidentielles de décembre 2001. Quelques mois auparavant, personne ne le voyait susceptible de concurrencer l’Amiral Ratsiraka. Une formule consacrée résume la situation de l’époque : les gens n’ont pas voté pour Marc Ravalomanana, mais contre Didier Ratsiraka. Ce schéma se reproduit aujourd’hui. Il ne semble pas y avoir d’adhésion déterminée au Maire de Tana, mais un rejet massif du régime de Marc Ravalomanana. Par conséquent, sans cette adhésion, qui peut garantir aujourd’hui que le premier ne soit pas une version immaculée du second ? La première décision d’Andry Rajoelina lorsqu’il est arrivé à la mairie de Tana fut de suspendre les autorisations des sociétés publicitaires pour installer les panneaux publicitaires de sa société Injet. Du Ravalomanana dans le texte… Sa jeunesse, son dynamisme, sa non appartenance au sérail politique, son utilisation du religieux à des fins politiques…tout cela rappelle les débuts du Président actuel. Les espoirs déçus de ceux qui avaient cru en Ravalomanana ont été reportés sur un Maire dont on ne sait pas grand-chose jusqu’à maintenant. C’est peut-être en partie pour cette raison que le mouvement pro-TGV semble en perte de vitesse…

En raison de cette incertitude, il serait risqué de porter le Maire d’Antananarivo à la Présidence, d’autant qu’il n’a pas l’âge constitutionnel pour y prétendre, ni, comme il l’a lui-même reconnu, l’expérience. Le Président, pour sa part, a perdu ce qui lui restait de légitimité populaire et si celui-ci venait à préserver son mandat, à n’en pas douter une nouvelle crise ferait jour à l’approche des présidentielles de 2011. L’idée d’un gouvernement national est quant à elle difficilement envisageable dans le contextes actuel et risque de soulever les réticences des côtiers qui verraient d’un mauvais que deux Merina président seuls à la destinée de la Nation.
Reste le gouvernement de transition, qu’appelle de ses vœux le Maire d’Antananarivo…une transition qui permettrait d’opérer les réformes constitutionnelles promises depuis si longtemps, d’offrir à l’opposition le temps de se structurer et de dévoiler ses cartes, en d’autres termes de préparer l’alternance dans le calme! Ce que Madagascar n’a jamais connu depuis l’indépendance…