ANALYSES

Blogueur tué dans une explosion: la marque d’« une résistance » au cœur de la Russie?

Presse
3 avril 2023
Interview de Lukas Aubin - RFI
L’enquête sur cette explosion dans un café de Saint-Pétersbourg est en cours, mais on peut dire que Vladlen Tatarski a été visé personnellement. C’est à lui qu’on a remis la statuette à l’origine cette explosion. Concrètement, qui était-il, et pourquoi le cibler lui particulièrement ?

Oui, évidemment il était visé, même s’il faut faire très attention à ce stade. Néanmoins, on sait que c’était un blogueur militaire, pro-russe évidemment. Ce qui est intéressant avec son profil, c’est qu’il est né dans l’oblast de Donetsk, donc il était ukrainien techniquement. Et à partir de 2014, au moment où la Crimée a été annexée, et où les républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk ont commencé à faire sécession de l’Ukraine, il s’est évadé de prison alors qu’il était à l’époque condamnée pour braquage de banque. Et peu à peu, il a commencé à avoir pignon sur rue dans les médias, notamment en Russie où il est devenu ce qu’on appelle un blogueur militaire, c’est-à-dire qu’il est allé sur le terrain dans l’est de l’Ukraine en diffusant des informations pro-russes, qui étaient ensuite relayées dans les médias en Russie. Et il est devenu finalement une sorte de coqueluche des médias en Russie, à l’ère de Vladimir Poutine. Ce qui en fait évidemment une personnalité à la fois importante en Russie, mais aussi visée par de nombreuses personnes anti-Poutine, que ce soit en Ukraine ou en Russie.

L’information est contrôlée en Russie, notamment sur cette question de la guerre en Ukraine. Pourquoi les blogueurs comme lui sont les seuls à être autorisés à parler de la stratégie russe dans le pays ?

Évidemment parce qu’ils suivent la ligne du régime. Ils ne sont pas du tout critiques à l’égard de Vladimir Poutine et de l’élite russe de manière générale. Ce sont des gens qui sont favorables à l’annexion de l’est de l’Ukraine, en faveur de la Russie. De ce fait, ils ont beaucoup de portes qui leur sont ouvertes. C’est un trait très caractéristique du système de Vladimir Poutine aujourd’hui, c’est-à-dire que vous pouvez être un ancien criminel de droit commun, vous pouvez vous être échappé d’une prison, et vous pouvez, si vous suivez la ligne du parti, devenir une personnalité influente pro-russe, et du coup avoir accès aux médias russes, etc. Ce qui est une caractéristique très étonnante aujourd’hui.

Qui pouvait lui en vouloir ?

Il y a plusieurs possibilités. Pour le moment, on parle d’une résistance à l’intérieur de la société russe, qui serait du côté de l’équipe de Navalny, qui est actuellement emprisonné en Russie, et qui est un des principaux opposants à Vladimir Poutine actuellement. Donc ça pourrait être une personnalité de ce type-là. Mais évidemment, on ne peut pas savoir pour le moment. Ça pourrait aussi être quelqu’un venu d’Ukraine, qui souhaiterait justement faire la guerre sur le territoire de la Fédération de Russie. Pour le moment, c’est trop tôt pour dire qui a fait quoi. Néanmoins, on sait que c’est la suite de ce qui était arrivé il y a quelques mois à la fille d’Alexandre Douguina, qui avait été assassinée dans une explosion de voiture. On voit bien qu’aujourd’hui la Russie, si elle fait la guerre sur le terrain en Ukraine, elle commence finalement à « payer » les conséquences de ses actes sur son propre territoire, ce qui était peu le cas en réalité dans les premiers mois de la guerre. Aujourd’hui, on voit que quelques éléments laissent penser qu’il existerait au sein de la Fédération de Russie, sur le territoire russe, une résistance qui n’irait pas dans le sens du régime de Vladimir Poutine.
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