ANALYSES

« Vladimir Poutine profite du manque de solidarité européenne sur la question migratoire »

Presse
14 février 2023


L’instrumentalisation des enjeux migratoires à des fins politiques n’est pas un fait nouveau, de surcroît en temps de guerre où tous les coups sont permis. Dans le conflit ukrainien déclenché par la Russie avec pour conséquence le risque de son isolement sur la scène internationale, Poutine bénéficie des effets collatéraux d’une politique migratoire européenne discriminatoire qui lui permet de consolider ses alliances diplomatiques.

De fait, la logique du deux poids deux mesures que l’Europe inflige à leurs dépens aux exilés provenant majoritairement d’Afrique et du Moyen-Orient accentue la défiance des pays du Sud, anciennes colonies pour la plupart, envers le Vieux Continent.

Crise diplomatique

Par ailleurs, le président russe profite habilement du manque de solidarité et de l’absence d’accord entre États européens qui s’écharpent lorsqu’il y a nécessité de soulager certains pays exposés en première ligne à ces flux migratoires.

En témoigne la récente crise diplomatique entre la France et l’Italie à propos du débarquement de rescapés du navire humanitaire Océan Viking, qui s’inscrit dans un contexte d’hystérisation du débat politique sur la migration.

Ainsi, les exilés bloqués sur les voies terrestres ou maritimes aux frontières de l’Europe sont considérés comme les pions d’une guerre hybride que se livrent Russes et Occidentaux sur l’échiquier d’une diplomatie d’influence où des milliers de personnes sont prises en otages.

Vivre avec l’angoisse

Même quand ils sont sauvés en mer Méditerranée, les migrants vivent toujours avec l’angoisse de ne pas être débarqués en lieu sûr. Plusieurs jours sont parfois nécessaires pour que les pays en proximité des sauvetages comme la France, l’Italie ou Malte autorisent les navires humanitaires à accoster dans un port d’accueil. Les associations qui sauvent des vies sont à l’occasion accusées de complicité avec les passeurs alors que sont dénombrées quelque 120 000 traversées, avec plus de 3 000 morts ou portés disparus sans assistance en mer Méditerranée pour la simple année 2021 selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés.

Dans le même temps, l’Europe a su faire preuve d’une solidarité exemplaire en accueillant dans de bonnes conditions plusieurs millions de réfugiés ukrainiens après avoir soulagé la Pologne et la Roumanie. La France en a reçu à elle seule plus de 100 000 et l’Italie, 150 000 en 2022, sans que cela occasionne d’embardées politiques sur l’immigration. De fait, l’absence d’accord pérenne garantissant une répartition équitable de ces rescapés à l’échelle du continent européen conduit régulièrement ces dernières années des États à refuser les demandes souvent urgentes de prise en charge d’individus affaiblis par des violences multiples. Les différentes crises diplomatiques qui en résultent fragilisent ainsi l’Europe, chacun se renvoyant la responsabilité d’une telle inhumanité.

Visas sous pression russe

De plus, la délivrance par le régime biélorusse, sous pression russe, de visas de transit conduit délibérément des milliers de candidats à l’exil à s’entasser sur sa frontière fermée qui la sépare de la Pologne où les conditions de vie sont déplorables. On compte en 2021 plus de 170 000 passages, en provenance du Moyen-Orient pour la plupart, et davantage de 2022. Ces manœuvres cyniques qui accentuent la dangerosité et les mortalités migratoires participent de cette tentative de déstabilisation d’une Europe qui n’est pas prête à assumer un soutien à la Pologne si celle-ci faisait le choix d’ouvrir ses frontières.

Dans une guerre qu’elle qualifie de civilisationnelle contre l’impérialisme occidental dont ils seraient les victimes communes, Poutine a su rallier à sa cause plusieurs dizaines de pays du Sud qui ont certes condamné l’invasion ukrainienne par son armée, mais qui n’ont pas voté le régime de sanctions contre ce dernier. Par ailleurs, ses allusions aux deux conflits meurtriers menés en Irak et en Libye par des coalitions occidentales et dont la légitimité fait toujours polémique corroborent les convictions de ceux qui doutent de leurs intentions réelles.

Une défiance accentuée

En parallèle, sur le terrain, le groupe paramilitaire Wagner d’obédience russe poursuit son développement qui incarne ces changements d’influence en République centrafricaine, au Mali et possiblement au Burkina Faso. Le président Poutine profite donc d’une défiance accentuée par la politique du deux poids deux mesures qui distingue des bons et des mauvais migrants, des guerres justes et d’autres illégitimes. De fait, il marque des points là où l’incohérence européenne nuit à sa propre réputation et profite ainsi grâce à ces inégalités de traitement d’une dramaturgie victimaire qui renforce ces liens contre l’ennemi commun.

On l’aura compris, l’Europe doit éviter ses prochaines crises diplomatiques internes en établissant des accords de répartition pérennes d’exilés à l’échelle de son territoire et en respectant les organisations humanitaires qui sauvent des vies. Elle doit aussi convaincre une partie du monde, qui observe ses distinctions de sollicitude, de son attachement à des valeurs d’humanité et de solidarité universelle au risque sinon de consolider le régime de Poutine sur la scène internationale. Il en va aussi de sa cohérence au soutien inconditionnel envers le peuple ukrainien toujours dans l’épreuve.


Une tribune publiée dans La Croix.
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