ANALYSES

Attaques à Jérusalem : « La situation actuelle est un peu apparentée à celle d’une cocotte-minute »

Presse
30 janvier 2023
Interview de David Rigoulet-Roze - Upday
Les deux attaques qui ont eu lieu à Jérusalem vendredi et samedi sont-elles surprenantes, dans leur timing ou leur “violence” ?

Non, ce n’est pas forcément surprenant. Depuis le début de l’année, il y a une tension accrue qui est de plus en plus perceptible. Une trentaine de Palestiniens ont été tués depuis le début de l’année 2023 dans le cadre d’opérations sécuritaires. Il y en avait eu plus de 200 en 2022 ainsi qu’une trentaine d’Israéliens. Les accès de fièvre sont récurrents mais le niveau de tension est ici à nouveau très élevé sinon extrême. Le déclencheur immédiat a été le raid mené par l’armée israélienne le 26 janvier dans la localité de Jénine en Cisjordanie occupée, ciblant notamment des activistes d’une cellule du Djihad Islamique qui planifiait des attentats. Cela a donné lieu à des affrontements armés faisant 9 tués du côté des Palestiniens ainsi une vingtaine de blessés. Le lendemain de ce raid, il y a eu l’attentat contre la synagogue Ateret Avraham situé dans le quartier de colonisation juive de Neve Yaakov, dans Jérusalem Est, perpétré par un Palestinien de 21 ans, Alkam Hayri, originaire du quartier arabe de Shuafat également dans Jérusalem Est et causant 7 morts et des blessés graves et rapidement abattu par les forces de sécurité.

Du côté palestinien, il y a souvent le discours du décompte d’une équivalence macabre. Signe de cette tension extrême, il y a eu une nouvelle attaque samedi 27 janvier au matin à Silwan, dans le quartier palestinien où se situe le site archéologique de la « cité de David » dans la vieille ville, une attaque perpétrée par un Palestinien de 13 ans, Mohammad Aliyat, qui a tiré sur un homme et son fils et qui a été arrêté ensuite. Dimanche 29 janvier, un Palestinien de 18 ans, Karam Ali Ahmad Salman, aurait été tué les armes à la main par les forces de sécurité israéliennes près de la colonie de Kdumim (Nord de la Cisjordanie). C’est une accumulation d’incidents très graves qui inquiète toute la communauté internationale. On sent qu’il y a la possibilité que cela dégénère rapidement, d’autant plus que le gouvernement israélien est très marqué à l’extrême-droite, avec peu de velléités de retenue en terme sécuritaire. Cela ne peut qu’amplifier les tensions, au point que certains observateurs craignent même la possibilité d’une troisième intifada (« soulèvement »).

Les familles des assaillants ont été punies, un Palestinien a été tué aussi ce lundi matin… à quoi peut-on s’attendre au niveau de la répression d’Israël ?

Il va y avoir un tour de vis sécuritaire de plus en plus marqué, avec des mesures pouvant s’apparenter à des mesures d’exception. Quand les maisons des familles des assaillants sont murées avant d’être détruites comme c’est prévu, cela signifie que l’ont s’inscrit dans une logique de punition collective. Ce type de décision doit éventuellement faire l’objet d’une validation par la Cour suprême. C’est ce qui a été le cas après que les requêtes présentées à la Cour suprême contre la procédure ont été rejetées par celle-ci. Mais le gouvernement a également décidé de mettre sous scellés la maison de l’auteur de l’attaque de samedi à Jérusalem-Est, même si elle n’a pas fait de morts. Or, Israël ne démolissait jusque-là que les maisons de Palestiniens qui assassinaient des Israéliens. Et ce processus passait par un préavis aux familles et une procédure d’appel. Mais dans le cas de Khayri Alqam, la maison a été mise rapidement sous scellés, sans préavis ni appel, une mesure « prise au mépris total de l’État de droit », selon Dani Shenhar, de l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoke. C’est donc la question de l’Etat de droit qui se trouve posée et c’est un vrai


Y a-t-il un risque d’escalade dans cette zone ?

On ne peut pas l’exclure. La situation actuelle est un peu apparentée à celle d’une cocotte-minute. La deuxième intifada a eu lieu à partir de septembre 2000, lorsqu’Ariel Sharon, alors chef de l’opposition israélienne, s’était ostensiblement rendu sur l’Esplanade des Mosquées pour les musulmans ou Mont du Temple pour les juifs, une provocation directement à l’origine du déclenchement de la deuxième intifada qui allait durer plusieurs années. On peut relever que le nouveau ministre de la sécurité intérieure, Itamar Ben Gvir, issu de l’extrême-droite nationaliste, a fait une visite similaire le 3 janvier 2023, mettant putativement à mal le statu quo établi depuis 1967, selon lequel seuls les musulmans peuvent prier sur l’esplanade des mosquées. Ce déplacement a été perçu par nombre de Palestiniens comme un écho de la visite d’Ariel Sharon en septembre 2000. Ce qui n’arrange rien, c’est que d’autres pays dans la région peuvent avoir intérêt à ce que la situation dégénère, comme l’Iran, plus jamais isolé mais qui peut instrumentaliser ses proxys comme le Djihad Islamique.


Dans cette configuration régionale élargie, le conflit israélo-palestinien sert en quelque sorte de « caisse de résonance ». Or, pour les Palestiniens, il n’y a aujourd’hui aucune réelle perspective, d’autant moins avec le gouvernement en place particulièrement marqué à l’extrême-droite nationaliste et/ou ultra-orthodoxe. Le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken arrive pour une visite de deux jours en Israël et dans les territoires palestiniens et va s’efforcer de rétablir un minimum de contacts entre les parties alors que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas a une fois de plus décidé de rompre toute forme de coopération sécuritaire avec Israël, Et ce, même s’il y a une forme de découragement non explicite de la part des Américains face à un conflit paraissant insoluble. Le viatique demeurant le principe onusien de « la solution à deux Etats ». Mais avec la colonisation qui se développe de plus en plus, on s’éloigne de plus en plus sur le terrain de cette « solution à deux Etats » ce qui ne peut que susciter les frustrations et les rancœurs des Palestiniens.

Qu’est-ce qui pourrait permettre de calmer la situation ?

Pour l’instant, malheureusement pas grand-chose. Certes, la première réaction du nouveau Premier ministre Benjamin Netanyahou à l’attentat contre la synagogue de Neve Yaacov, a été d’enjoindre les citoyens israéliens à « ne pas se faire justice soi-même ». Mais peu de temps après, il proposait d’élargir la possibilité pour les mêmes citoyens israéliens de s’armer pour pallier directement d’éventuels attentats. Or la population israélienne est dans une situation de stress extrême en termes sécuritaires et ce type de disposition présente le risque de favoriser des passages inadéquats à l’acte, alors que le monopole de la violence légitime est théoriquement dévolue aux seules forces de sécurité. A certains égards, ce type de déclaration est susceptible de relever du syndrome de « pompier pyromane ».



Propos recueillis par Frédéric Sergeur pour Upday.
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