ANALYSES

L’annonce de l’abolition de la police des mœurs en Iran, un tournant de la contestation ?

Presse
6 décembre 2022
Interview de David Rigoulet-Roze - L'Obs

Peut-il réellement y avoir une abolition de la police des mœurs en Iran ?


Cette annonce de l’abolition de la police des mœurs est à prendre avec beaucoup de circonspection, notamment en raison de son contexte. Le procureur général de la justice révolutionnaire, Mohammad Jafar Montazeri, a en effet répondu à une question qui lui a été soumise lors d’un séminaire à Qom [ville sainte qui abrite des dizaines de séminaires du clergé chiite et où résident nombre d’ayatollahs] avec une formule sibylline : « La police religieuse a été abolie par ceux qui l’ont créée », sans plus de précision.

Il a par ailleurs ajouté que cette police n’avait rien à voir avec le pouvoir judiciaire que lui-même représente, mais que ce pouvoir continuait à surveiller les comportements dans la société, et donc le respect du port du voile. C’est une formulation étrange et ambiguë.

Il y a depuis samedi beaucoup de spéculations. Certains estiment que ce n’est qu’une manœuvre de diversion, une sorte de contre-feu par rapport aux difficultés que rencontre le régime. Ce qui est sûr, c’est que cette annonce relative à la police des mœurs, qui dépend du ministère de l’Intérieur et donc du gouvernement, n’a pas été confirmée ni infirmée. Aucune source gouvernementale n’a validé cette déclaration. Il y a donc un grand point d’interrogation, même si le réel enjeu n’est pas tant la police des mœurs que la question du port du voile, qui depuis la loi de 1983 est un principe constitutionnel sacro-saint. Or, à ce jour, il est toujours obligatoire.

Les déclarations sur l’abolition de la police des mœurs vont-elles avoir un impact sur la situation dans le pays ?


C’est très peu probable. Les Iraniens ne sont pas dupes. Ce n’est pas cette annonce qui va changer quoi que ce soit car c’est probablement déjà trop tard. Cette annonce est éventuellement le symptôme d’une inquiétude du pouvoir qui essaie de faire diversion, mais ce n’est pas un pas vers les manifestants. A la limite, les Iraniens pourraient presque même le prendre comme un aveu de faiblesse. Sur le fond, cela ne change rien, d’autant que l’abolition de la police des mœurs n’a pas été confirmée par l’exécutif.

Il y a une dynamique révolutionnaire en cours aujourd’hui. Sur les trois prochains jours, il y a l’annonce d’un mouvement de grève, avec notamment la Journée des Etudiants le 7 décembre. Il y a même eu sur les réseaux sociaux certains appels à prendre les armes. C’est la première fois que cela arrive.

Quelle suite peut prendre le mouvement de contestation, alors que l’obligation du port du voile n’est, pour le moment, pas abolie ?



Aujourd’hui, à travers la revendication sur le port obligatoire du voile, il y a la remise en cause des fondements de la République islamique elle-même. Or la question du port du voile est dans l’ADN du régime qui ne peut pas y renoncer sans se renier lui-même. Cela reviendrait au suicide du régime, c’est une sorte d’aporie idéologique. Dans la rue, il y a pourtant actuellement de plus en plus de femmes qui ne mettent pas le foulard. Et il y en a même tellement que le régime ne semble plus en mesure de les réprimer. Mais il ne peut pas se concevoir sans cette interdiction consubstantielle de son identité idéologique. Il est donc dans une impasse.


On ne reviendra pas en arrière. La jeune génération n’est plus disposée à revenir à la situation précédente. Elle ne supporte plus qu’on lui impose des prescriptions religieuses qui renvoient, pour elle, à une sorte de Moyen Age. Il y a un potentiel point de bascule qui n’est pas encore atteint mais qui pourrait l’être prochainement. La question est de savoir quand et comment.


Propos recueillis par Athéna Rivas pour L’Obs.


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