ANALYSES

« La question du sort des joueurs iraniens se posera après la Coupe du monde »

Presse
25 novembre 2022
Quelle place a le football en Iran ?

Il a une place centrale en Iran. C’est le sport national par excellence qui suscite une véritable ferveur populaire toutes classes sociales confondues. Nombre d’Iraniens sont des fans de foot, y compris les femmes. Et c’est là que l’on touche à une question éminemment sensible qui rejoint ce qui est à l’origine de la contestation actuelle sur le statut de la femme et la condition féminine dans le pays. Les femmes n’ont pas le droit de se rendre dans les stades avec les supporters masculins pour des raisons de prescription religieuse prônant une stricte séparation des sexes.

Les prises de position des joueurs sont donc attendues…



Oui, il y a des attentes fortes de la part de la population qui est engagée dans la contestation du système religieux. Elle compte sur les sportifs en général et particulièrement sur les joueurs de football pour qu’ils la soutiennent publiquement car ils ont une visibilité publique particulièrement importante. Cette population attend notamment qu’ils portent un message contre la répression. Et ils le font.

Dès le début du mouvement, Sardar Azmoun, l’attaquant-vedette de la Team Melli s’est exprimé sur les réseaux sociaux. Son compte avait d’ailleurs été immédiatement effacé. D’autres anciennes stars comme Ali Karimi ayant évolué au Bayern de Munich et vivant actuellement à l’étranger soutiennent le mouvement. Il a d’ailleurs vu sa maison en Iran confisquée pour son activisme sur les réseaux sociaux. Une autre ancienne star comme Ali Daei, meilleur buteur de la sélection nationale iranienne, a vu son passeport confisqué pour avoir manifesté son soutien à la contestation et remis en cause la version des autorités dans la mort des Mahsa Amini.

Les joueurs et l’équipe font-ils l’objet d’une surveillance ?

Évidemment… Ils font l’objet d’une étroite surveillance de la part des services de renseignements et notamment du corps des Gardiens de la révolution.

Dans ce contexte, comment décririez-vous la situation des joueurs iraniens pendant cette Coupe du monde ?

Elle est difficile parce que l’opinion publique attend qu’ils prennent position de manière explicite, ce que certains ont fait. C’est intéressant car le gouvernement a mis en prison nombre de journalistes, des cinéastes etc., mais il a jusqu’à présent hésité à toucher directement aux stars du football, même s’il a convoqué, avec d’autres personnalités, le 20 novembre dernier, Yahya Golmohammadi, ancien international et actuel entraîneur du club FC Persépolis, l’un des trois plus importants du pays.

Refuser de chanter l’hymne national lors de la plus grande compétition sportive, qu’est-ce que cela représente pour le régime ?

C’est perçu clairement comme un affront. Ce type de prise de position, par sa portée considérable, pose de fait un problème majeur au régime. On peut rappeler ce qu’il était arrivé à la grimpeuse Elnaz Rekabi qui avait enlevé son foulard lors d’une compétition d’escalade. Elle avait été accueillie comme une héroïne à son retour en Iran. Mais une fois qu’elle avait passé les portes de l’aéroport, elle avait été embarquée par les services de renseignements des Gardiens de la révolution et depuis on est sans nouvelles d’elle…

Doit-on s’attendre à ce que le même sort soit réservé aux footballeurs de l’équipe nationale ?

C’est plus difficile, déjà parce qu’ils sont plusieurs et puis parce que la visibilité du football n’a rien à voir avec celle de l’escalade. Le football fait partie de la culture populaire iranienne. Il a un écho énorme en Iran. Donc, c’est très difficile à gérer pour le régime qui n’était pas allé jusqu’à empêcher Sardar Azmoun d’intégrer la Team Melli. Le doute avait demeuré jusqu’au dernier moment.

En revanche, les autorités peuvent faire pression sur les familles, voire lancer des menaces de mort sur les proches des joueurs, ce qu’ils ne manquent probablement pas de faire. Les joueurs en sont conscients. On pourrait également imaginer des sanctions de mise à l’écart. La question de leur sort ou de sanctions se posera sans doute après la Coupe du monde… Pour l’instant, il y a un grand point d’interrogation car leur sort est intimement lié à l’évolution de la situation en Iran qui s’accélère.

Hasard du calendrier, la Coupe du monde est donc étroitement liée avec les évènements en Iran…

Tout s’est accéléré dernièrement. Aujourd’hui les forces de répression iraniennes tirent sur les manifestants avec des mitrailleuses lourdes, notamment au Kurdistan où la répression est terrible. Et on vient d’apprendre l’arrestation du célèbre footballeur Voria Ghafouri ce jeudi par les autorités iraniennes. Si le régime commence à arrêter des stars du football, c’est peut-être le signe que l’on approche d’un potentiel point de bascule.

 

Propos recueillis par Tara Britton.
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