ANALYSES

Présidentielle au Brésil : « La victoire de Lula ne signe pas la fin du bolsonarisme »

Presse
31 octobre 2022

Comment lire le résultat de ce dimanche? Est-il surprenant? Bolsonaro paye-t-il sa mauvaise gestion du Covid?


Les derniers sondages donnaient Lula vainqueur, avec près de 53 % des voix. Mais la prudence était de mise, car ces mêmes sondages se sont trompés au premier tour, sous-estimant le score de Bolsonaro. La raison est simple: les sondages se fondaient sur un recensement de la population de 2010, laquelle a changé.


L’arithmétique a tout de même joué en faveur de Lula, qui n’avait besoin que de 1,5 million de voix pour l’emporter, contre 6 ou 7 millions pour Bolsonaro. Bolsonaro a toutefois pu compter sur le soutien des abstentionnistes et sur celui de deux petits candidats qui, s’ils ont appelé à rallier Lula, ont un électorat de centre droit susceptible de voter pour le président sortant. Il peut aussi espérer capter des voix dans les catégories pauvres en enchaînant des mesures d’aides et d’allocations par exemple.


Par ailleurs, il n’est pas exclu que ce score serré entre les deux candidats se transforme en contestation de la légitimité du scrutin, comme ce fut le cas après les élections américaines en 2020.


Sur quels thèmes s’est jouée l’élection?


Les questions économiques et sociales se sont imposées par l’évidence de la situation que connaît le Brésil: une crise économique depuis cinq ans, une crise sanitaire avec le Covid-19, etc. Les indicateurs montrent que le Brésil traverse sa pire crise depuis 30 ans, en témoignent le retour de la faim et la pauvreté. La question de l’insécurité a par ailleurs joué un rôle dans la campagne, favorisant Bolsonaro. Sur ce point, le bilan de Bolsonaro n’a rien d’extraordinaire mais la conjoncture lui est favorable car le nombre d’homicides a baissé, car les gangs sont un peu plus «pacifiques» depuis son élection. Cela s’explique sans doute par la restructuration des cartels, d’où une baisse des homicides. Bolsonaro en joue, il en a profité pour vanter, à la fin de son mandat, de meilleurs résultats en matière de sécurité.


À peine élu en 2018, on avait vu le vainqueur de la présidentielle Jair Bolsonaro prier en public avec un pasteur évangélique. En quoi le vote du mouvement évangélique a-t-il influé sur le résultat? Jair Bolsonaro a-t-il cette fois échoué à mobiliser cet électorat?


La population évangélique est l’électorat de Bolsonaro, et les églises évangéliques, qui représentent un tiers des Brésiliens, se sont engagées de façon majoritaire pour lui. Bolsonaro promeut la structure traditionnelle de la famille, le rejet du droit à l’avortement, l’arrêt des politiques publiques en faveur des minorités sexuelles. Et tout cela plaît aux évangéliques. De plus, la promotion de l’entreprise privée et du libéralisme par le président sortant a su les séduire.


Bolsonaro a été soutenu par de nombreux footballeurs, comme Neymar. Doit-il en partie son succès au fait qu’il a su incarner le candidat «antisystème», notamment en raison de son passage en prison?


Ne nous y trompons pas: le bolsonarisme s’est renforcé au Brésil entre 2018 et 2022. Les résultats du premier tour l’ont montré, de façon indiscutable. C’est un mouvement conservateur similaire au trumpisme qui dépasse la personnalité de Bolsonaro et ne s’arrêtera pas avec lui. De ce point de vue, il a réussi, car le 2 octobre, lors du premier tour, il est devenu majoritaire au Congrès. Et il est arrivé en tête dans beaucoup de villes lors des dernières élections municipales.


Il incarne pour ses électeurs un pouvoir qui assume la désillusion de la puissance politique, et un dirigeant qui s’est construit en dehors du système. Les gens qui votent pour Bolsonaro attendent peu de choses de la politique et de l’État. À mesure qu’il se place à contre-courant des partis traditionnels, il se renforce, car il faut comprendre que le bolsonarisme est une force culturelle et sociale au Brésil.


Lula représente un mouvement puissant, mais celui de Bolsonaro parvient à rallier les classes moyennes et périphériques. Il s’agit du Brésil des petits patrons, des microentrepreneurs, sensibles à la question de l’individualisme, et du libéralisme économique. Avec cet électorat et l’église évangélique, cela représente beaucoup de monde au Brésil.


 

Propos recueillis par
Sur la même thématique