ANALYSES

« La France va devenir un pays de transit des hydrocarbures »

Presse
13 juin 2022
Interview de Francis Perrin - L'Union
Nous vivons une flambée de l’énergie, notamment du pétrole. Ce n’est pas la première. À quoi étaient liées les précédentes ? Y a-t-il des points communs ?

Le pétrole est une matière première avec un contenu géopolitique très élevé. Dans l’histoire pétrolière récente, nous avons eu deux fameux chocs pétroliers. Le premier, en 1973-74, est la conséquence de la quatrième guerre israélo-arabe souvent appelée la guerre du Kippour qui a commencé en octobre 1973. Le deuxième choc pétrolier de 1979-80 est lié à la révolution islamique en Iran.

On voit donc bien les liens souvent très étroits entre choc pétrolier haussier et événement géopolitique majeur. On retrouve cela à partir de février 2022 avec la guerre en Ukraine dans laquelle est impliquée la Russie qui est l’un des trois plus gros producteurs mondiaux de pétrole, l’un des plus gros exportateurs mondiaux de pétrole, le premier exportateur mondial de gaz et le deuxième producteur mondial de gaz.

Actuellement, nous avons dans les prix du pétrole et du gaz une prime de risque géopolitique qui est liée à la guerre en Ukraine. Si demain elle s’arrêtait, les prix du pétrole et du gaz chuteraient très brutalement parce que cette prime de risque géopolitique disparaîtrait. Cela ne veut pas dire que le pétrole descendra à 20 dollars par baril parce qu’avant la guerre en Ukraine, les prix étaient déjà élevés.

Que révèle l’embargo. incomplet. de l’Europe sur le pétrole russe ?

L’embargo européen va s’appliquer à partir de la fin 2022 et portera sur des volumes qui représentent à peu près 90% des importations pétrolières provenant de Russie du début de 2022. Donc 90%, ce n’est pas 100 % mais ce n’est pas non plus 10 %. C’est une mesure absolument majeure dans l’histoire de l’Union Européenne qui importe du pétrole et du gaz de la Russie depuis des dizaines d’années. Il y a eu évidemment les réticences de certains pays européens : la Hongrie au premier chef mais aussi la Slovaquie, la République Tchèque, la Bulgarie et la Croatie. Plusieurs de ces pays sont enclavés et, par définition, quand vous êtes enclavé, vous n’avez pas d’accès à la mer et vous ne pouvez pas faire venir du pétrole par la voie maritime. Donc vous êtes beaucoup plus gêné que d’autres pays comme, par exemple, la France qui a plu sieurs façades maritimes.

Cela nous fait prendre conscience qu’être un pays ou ouvert sur plusieurs mers a une dimension géostratégique qu’on avait presque oubliée…

Nous parlons de géopolitique et de géostratégie. Dans les deux cas, nous avons « géo » pour géographie. Elle est absolument essentielle. On dit souvent, et c’est juste, qu’un pays a la politique de sa géographie. Et là, on en a un exemple absolument crucial. La France qui a plusieurs façades maritimes peut importer du pétrole et du gaz naturel de plusieurs régions du monde. La France a quatre terminaux pour importer du gaz naturel liquéfié transporté par des bateaux méthaniers : deux à Fos-sur-Mer près de Marseille, un à Montoir-de Bretagne, un à Dunkerque. Et on veut en ajouter un cinquième au Havre. Notre géographique est un atout essentiel aux plans économique et énergétique donc géopolitique et géostratégique.

C’est une Europe énergétique à multiples vitesses…

Oui. Cela veut dire que ça passe aussi par une forte solidarité. Dans Union européenne, il y a le mot union. Cela implique de la solidarité. 11 faut rai sonner à 27 même si les pays, les États et les nations existent toujours.
Donc chacun va regarder ses intérêts nationaux mais dans un ensemble plus large, qui s’appelle l’Union euro péenne, pour aider les pays, notam ment ceux qui n’ont pas la même marge de souplesse que nous. 11fau dra que certains pays européens im portent du pétrole et du gaz d’autres pays que la Russie. Une partie ira pour leur consommation et une autre sera envoyée à d’autres pays européens. La France va devenir un pays de transit des hydrocarbures pétrole et gaz. C’est pour cela qu’il était essentiel d’avoir des réseaux énergétiques interconnectés.

L’Europe regrette de s’être rendue très dépendante du gaz russe. Faut-il pour autant ouvrir les bras au gaz liquéfié venant des États-Unis qui, ces dernières an nées, nous ont montré qu’ils n’étaient plus toujours un allié infaillible et loyal ?

Quand l’Union européenne a pris la décision politique de se passer du pétrole russe quasiment à 100% fin 2022 et du gaz russe, pour l’instant dans cinq ans, on fait le tour du monde pour chercher d’autres fournisseurs.

Comment pourrait-on oublier qu’il y a un pays, les États-Unis, avec ses défauts et aussi des qualités, qui est le premier producteur mondial de pétrole et de gaz, avec du pétrole et du gaz non conventionnels. Auparavant,
personne en Europe ne voulait en entendre parler. Mais en 2022, tout le monde se dit heureusement qu’il y a ces affreux pétrole et gaz de schiste américains.

Que veut dire ce revirement ?

Toute politique énergétique repose sur trois éléments clés. Il y a d’abord la sécurité des approvisionnements parce qu’on ne peut pas se passer d’énergie, elle fait tourner l’économie. Le deuxième élément, c’est le coût
des approvisionnements car il faut de la compétitivité économique. Le troisième élément est la protection de l’environnement donc évidemment le climat. En 2022, de façon brutale, on remet au premier plan l’un de ces trois impératifs, la sécurité des approvisionnements, parce que celle-ci est menacée.

La filière biométhane française affirme qu’elle peut remplacer les 17 % de gaz russe que nous importons. Qu’en pensez-vous ?

Dans un horizon à moyen terme, le biométhane tout seul ne va pas permettre à la France et à l’Union européenne de se passer du gaz russe. On va le remplacer en allant chercher du gaz ailleurs, en faisant des économies d’énergie pour réduire notre consommation, en développant ou en maintenant des centrales nucléaires, en développant fortement les énergies renouvelables dont le biométhane, le solaire et l’éolien. Le biométhane est une réponse. Ce n’est pas la seule réponse parce qu’il y a un ensemble de réponses qu’il faut conjuguer et mettre ensemble.

 

Propos recueillis par Julien Bouillé pour L’Union.

 
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