ANALYSES

Vers une guerre hybride et totale ? La Russie s’enferme dans une partie de poker menteur avec l’Occident

Presse
15 mai 2022
En faisant le choix d’envahir l’Ukraine Vladimir Poutine a fait le choix de défier les Occidentaux qui ont eux même répondu avec des sanctions envers la Russie et des livraisons d’armes à l’Ukraine. Hier la pression entre l’Est et l’Ouest a augmenté à nouveau lorsque Vladimir Poutine a menacé la Finlande en qualifiant d’erreur l’entrée du pays dans l’OTAN. Quel intérêt à Vladimir Poutine à proférer de telles menaces ? Quelles sont les différentes pressions que cherche à mettre la Russie sur l’Occident ? 

Depuis le début de la guerre, les pays occidentaux ont fait le choix de la fermeté et d’une guerre à distance, en fournissant des armes à l’Ukraine et en préférant aux efforts de paix un discours de diabolisation de Moscou. Ce choix peut être légitime face aux pratiques de Vladimir Poutine et le choix de l’insavion de l’Ukraine, mais dès lors que les pressions s’accumulent sur la Russie, il n’est pas étonnant de noter des mesures de rétorsion. Prenons l’exemple des sanctions commerciales. Si la Russie souffre d’approvisionnements en provenance de l’Occident en forte baisse – notons cependant que les moyens de contourner ces sanctions, en transitant par d’autres pays comme les Etats du Golfe ou la Géorgie, permettent aux Russes de continuer à consommer des produits européens et américains, certes à un prix nettement plus élevé – Moscou exerce de son côté de fortes pressions en s’appuyant sur les exportations énergétiques, la Finlande en étant la dernière victime. De la même manière, aux tentatives des Occidentaux de rallier à leur cause un nombre important de pays, la Russie répond par des mesures similaires, comme la récente visite de Sergueï Lavrov à New Delhi l’a démontré. L’Occident est certes uni face à la Russie, ce qui est en soit une bonne nouvelle, mais l’Occident est isolé sur la scène internationale, et Moscou le sait. C’est pour cette raison que face aux pressions, les dirigeants russes peuvent répondre par un discours similaire.

Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la Russie, estime que l’Occident mène une guerre « hybride et totale » contre la Russie, de quoi parle-t-il exactement ? Peut-on parler de guerre totale et hybride contre la Russie ? 

Rappelons d’abord que c’est dans les pays occidentaux que la mention de « guerre totale » – appellation d’ailleurs très hasardeuse dans le cas de cette guerre, quand on sait qu’il s’applique à des conflits liés à la survie d’une société et à l’implication de tous ses membres – fut d’abord utilisée. Lavrov ne fait donc que pratiquer un mimétisme, tout aussi hasardeux. Sur le fond, il suggère que l’Occident est engagé dans une guerre sur tous les fronts. C’est évidemment un moyen de mettre la pression sur les dirigeants occidentaux, quand on sait que si le soutien populaire à l’Ukraine est très fort en Europe ou aux Etats-Unis, le principe d’un engagement a été balayé d’un trait par la plupart des hommes d’Etat, Joe Biden en tête. Lavrov cherche donc à forcer les pays occidentaux à sortir de leur position ambigüe qui consiste à alimenter la guerre sans la faire. Par guerre hybride, le ministre des affaires étrangères russe fait évidemment référence aux moyens « non conventionnels » de cette guerre, qui est économique, diplomatique et culturelle, puisqu’il a fait mention de la russophobie qui s’ets selon lui emparée des sociétés occidentales. Il faut là aussi décoder ces termes, mais dans le même temps ne pas nier la réalité des mesures prises contre Moscou qui dépassent largement la condamnation de l’invasion. En invoquant une guerre hybride qui serait menée contre la Russie, cette dernière suggère que des moyens hybrides seront utilisés en représaille.

Sergueï Lavrov considère que l’Occident leur a déclaré la guerre et il déplore la perte de l’indépendance de l’Europe face au diktat de Washington. L’invasion de la Russie va-t-elle à terme mettre un nouveau rideau de fer entre Russie et Occident ?

C’est un risque, identifié dès le début de cette guerre, qui semble ici augmenter, comme une prophétie autoréalisatrice. Un risque, il faut le répéter, car une situation de guerre froide est tout sauf souhaitable, resterait porteuse d’incertitudes (« paix impossible, guerre improbable »…), et refermerait une parenthèse de trente ans. Elle accentuerait par ailleurs la désoccidentalisation que nous observons, de manière progressive, depuis plusieurs années.En effet, le risque n’est pas de voir une nouvelle, et fâcheuse, division en Europe, qui ravive de mauvais souvenirs, mais de voir cette division s’inviter dans les relations internationales. Les pays occidentaux semblent souhaiter une division durable avec Moscou. Mais dans ce cas, quid de Pékin, de New Delhi, de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Amérique latine et de la majorité de l’Asie… Ces pays se plieront-ils aux exigences de Washington et, dans une moindre mesure, Bruxelles? Le déroulement de la guerre depuis plus de deux mois semble nous indiquer l’inverse. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils se rallieront à la Russie – comme le laisse entendre de manière excessive Lavrov – mais que la ligne de démarcation de cette nouvelle guerre froide que certains appellent visiblement et avec un aveuglement coupable de leurs voeux, ne sera pas celle que l’on croit.

 

Propos recueillis par Atlantico.
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