ANALYSES

« Le conflit en Ukraine marque un tournant pour le mouvement sportif international »

Presse
16 mai 2022

Ne nous y trompons pas : le conflit en Ukraine pourrait marquer un tournant pour le mouvement sportif international. Il entrera dans l’histoire. Pour la première fois, les instances ont massivement abandonné leur sacro-saint principe de neutralité politique. Le Comité international olympique (CIO) a montré la voie. Les fédérations sportives internationales ont suivi.


La Russie et la Biélorussie ont été exclues du mouvement olympique, leurs événements leur ont été retirés, leurs équipes bannies des compétitions. Cette prise de position constitue un précédent. Une première dans l’histoire contemporaine. Rappelons-nous, par exemple, que les Jeux olympiques de Londres ont été attribués à la Grande-Bretagne en 2005, deux années seulement après sa participation à la guerre en Irak.


Pourquoi une telle réaction du mouvement sportif ? L’avenir apportera sans doute une réponse plus précise, mais j’oserais deux explications : l’époque a changé, avec un sentiment désormais partagé que la guerre n’est plus admissible ; les Occidentaux continuent à peser lourdement sur le mouvement sportif. La vraie raison de cette prise de position unique des instances tient sans doute un peu des deux hypothèses.


Peace and sport


Une chose est sûre : le conflit en Ukraine a déclenché dès les premières offensives russes une mobilisation elle aussi inédite dans le monde du sport. Elle a touché un très grand nombre de pays et de communautés, sans se limiter aux pays les plus concernés. La solidarité envers l’Ukraine s’est exprimée du sommet à la base de l’édifice, des organisations internationales jusqu’aux fédérations nationales et même aux clubs locaux.


Les initiatives ont été très nombreuses, souvent spontanées. Elles ont illustré, avec une résonance rarement connue, l’intuition à l’origine de la création de l’organisation Peace and sport : le sport peut être un formidable outil de paix et de solidarité. Il n’empêchera pas les guerres, mais il peut contribuer à en atténuer les conséquences les plus négatives.


Les exemples sont nombreux de cette mobilisation sans précédent du monde sportif. Dès le début du conflit, le CIO a annoncé la création d’un fonds d’aide à la communauté olympique ukrainienne. Coordonné par l’ancien perchiste Sergueï Bubka, il avait réuni au tout début du mois d’avril la somme de 2 millions de dollars (environ 1,92 million d’euros).


Des citoyens du monde


La Fédération internationale de canoë (ICF) a suivi l’exemple, en créant à son tour un fonds d’aide et en appelant ses pays membres à accueillir des athlètes ukrainiens. Son appel a été massivement entendu, notamment par la Pologne, la Roumanie, l’Allemagne, la France et l’Estonie. Début mai, le ministère français des sports a annoncé que plus de 70 athlètes de haut niveau ukrainiens et leurs encadrants avaient été accueillis, ou étaient en voie de l’être, dans des établissements publics du sport.


Phénomène également peu commun : les athlètes ont pris la parole. Eux aussi se sont mobilisés. Eux aussi ont exprimé leur solidarité avec l’Ukraine. Ils l’ont fait comme des citoyens du monde, pas seulement en leur qualité de champions. Ils ont fait entendre leur voix. Ils ont montré qu’ils n’étaient pas coupés des réalités sociales et sociétales, mais qu’ils savaient prendre position sur les conflits, les causes et les enjeux du monde qui les entoure. Ils n’ont pas vocation à prendre position sur tous les sujets.


Il ne leur a pas souvent été demandé de s’exprimer. Mais ils l’ont fait. Pour cette raison aussi, le conflit en Ukraine pourrait marquer un tournant.


 

Publié dans Le Monde.
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