ANALYSES

« Ne plus régler les problèmes par la force »

Presse
24 mars 2022
Interview de Pascal Boniface - Vie nouvelle
Le 24 février dernier, Vladimir Poutine a pris la décision de porter la guerre en Ukraine ? Comment a-t-on
pu en arriver là ?

Comme toujours, les causes de cette situation sont multiples. Mais n’oublions pas que la respon­sabilité principale incombe à Vladimir Poutine qui, en choisis­sant de régler un différend stratégique existant depuis 2007/2008 par la force armée, a franchi le Rubicon. Poutine avait alors dit que la Russie n’était pas satisfaite des conditions
de sortie de la guerre froide. Qu’il estimait que ses intérêts étaient menacés et que ses inquiétudes sur sa sécurité n’étaient pas enten­dues. Les Occidentaux n’ont pas pris en compte ces signaux. Force est de reconnaître que
leurs promesses verbales faites à Gorbatchev au sortir de la guerre froide n’ont pas été tenues à la fin du monde bipolaire. Mais encore une fois, quelles que soient les réserves que l’on puisse avoir sur la politique occidentale, on ne peut pas excuser le recours à la guerre.

Le temps de la négociation viendra forcement. Quels pourraient en être les termes?

Beaucoup disent aujourd’hui qu’il faut prolonger la guerre et ne plus parler à Poutine. Ils veulent simplement prolonger la guerre jusqu’à la mort du dernier Ukrainien. Or, par définition, on ne négocie qu’avec ses adversaires. Ça n’est pas parce qu’il existe un profond désaccord avec Poutine qu’il faut couper les liens. li faudra arriver à
un accord et un accord est forcé­ment négocié. Sur quelles bases ? Poutine peut-il mettre fin à la guerre et se retirer d’Ukraine sans avoir obtenu quelque chose ? A minima, peut-il exiger la levée des sanctions et la reconnaissance de l’annexion de la Crimée ?Tout cela peut s’ envisager. Par ailleurs, que peut accepter Zelenski sans que la souveraineté de l’Ukraine ne soit menacée durablement et surtout sans donner le sentiment que Poutine gagne quelque chose ? À ce stade, il est très compliqué de répondre précisément. La résultante dépend du rapport de forces en train de s’établir sur le terrain et au niveau interna­tional.

Les dirigeants de l’Union européenne ont l’ambition d’être une puissance souveraine et autonome en matière de défense. Est-ce possible ?

C’est possible, mais pas sûr que ça se fasse. Le premier réflexe de la plupart des Européens est de se réfugier un peu plus sous l’aile protectrice des Américains. On peut penser que l’augmenta­tion des dépenses militaires en Europe va se traduire par l’achat d’armement américain. Finalement, Biden est le grand gagnant de cette crise puisque l’Otan, qui était, non sans raison d’ailleurs, décrite en état de mort cérébrale à l’automne 2019,appa­raît comme la force déterminante en Europe. N’oublions pas que c’est l’Otan qui a attaqué le Kosovo en 1999 et que, depuis l’été dernier, Biden veut créer une grande coalition anti chinoise dans laquelle les Européens participe­raient. En d’autres termes, il veut faire de cette coalition l’axe de la démocratie contre un axe autoritaire composé de la Russie et de la Chine.

On le voit, ce conflit redessine la situation géopolitique de l’Europe et du monde. Quels pourraient être les contours d’un nouvel ordre mondial ?

Plusieurs scénarios sont possibles. Soit les Américains réussissent à convaincre les Européens qu’il faut constituer ce« grand axe de la démocratie » et alors on entre dans une nouvelle guerre froide et son corollaire de tensions et de course à l’armement. Soit on se dit qu’il faut une nouvelle architecture de sécurité en mettant ces questions sur la table d’une grande conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, pour faire passer l’envie de régler les problèmes par la force.

Propos recueillis par Michel Scheidt pour Vie nouvelle
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