ANALYSES

Guerre en Ukraine : « Une partie de la planète, compte tenu de ses besoins alimentaires, va peut-être regarder à deux fois avant de s’exprimer »

Presse
15 mars 2022
Interview de Sébastien Abis - France info
L’ONU craint « un ouragan de famine » avec la guerre en Ukraine : est-ce que ce sont les mots justes ?

Sébastien Abis : Ce sont des mots forts du secrétaire général des Nations unies, qui a raison d’insister sur les incidences alimentaires de la crise en Ukraine, dans un contexte extrêmement lourd de pandémie depuis deux ans qui avait déjà tendu fortement les équilibres agricoles et alimentaires sur la planète. On a cette crise depuis 19 jours en Ukraine avec une réaction en chaîne sur les marchés agricoles et les craintes d’approvisionnement alimentaire d’un certain nombre de pays. L’Ukraine est une grande puissance agricole productive. On a gagné 2 milliards d’habitants sur la planète depuis 20 ans. La planète a faim et toute la planète n’est pas homogène d’un point de vue géographique.

C’est du blé, du maïs, du tournesol, de l’orge, du colza… Tous ces produits de base dans l’alimentation humaine ou animale, l’Ukraine en exporte beaucoup sur les marchés internationaux, qui sont à la fois en train de réagir fortement dans ce contexte de pandémie, mais aussi à court terme car l’origine ukrainienne fait défaut. Les bateaux ne sont pas chargés, le littoral ukrainien est plutôt en train de se battre, et nous avons une incertitude qui pointe à l’horizon : puisque les capacités de production en Ukraine sont aujourd’hui bridées, on ne sait pas très bien où ce pays va pouvoir produire et récolter dans les prochains mois les quantités habituelles.

Quelles sont les conséquences au niveau international ?

C’est toute la planète alimentaire qui regarde les conséquences à 12, 18 mois, avec inquiétude. Vous avez des pays en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne qui, pour le blé par exemple, achètent pour moitié auprès de la Russie ou de l’Ukraine. L’origine mer Noire aujourd’hui faisant défaut, vous avez des conséquences sur le prix du pain qui vont très vite surgir dans certains pays.

Dans des pays où vous n’êtes pas en démocratie, si le bastion de la sécurité alimentaire saute, vous avez toutes les raisons d’aller manifester dans la rue et de prendre tous les risques à contester le pouvoir en place qui ne satisfait pas aux besoins de base.

Quels sont les pays pouvant être le plus touchés par la hausse des prix de l’alimentaire ?

On va avoir de l’inquiétude dans des pays comme l’Égypte, premier importateur mondial de blé, qui fait venir 60% de son blé de Russie et 40% d’Ukraine. La tonne de blé qui augmente, c’est une facture à l’importation qui se développe et des pouvoirs publics appelés à la rescousse pour contenir la poussée des prix.

Vous avez une explosion des cours, et pour les pays acheteurs, c’est très peu soutenable. Si tout ça persiste au dessus de 300 euros, c’est toujours très compliqué pour les pays acheteurs. Le Printemps arabe, il y a 10 ans, était dans un contexte de 400 euros la tonne : si ça dure, ça va devenir très difficile.

La Russie limite les exports de céréales vers quatre républiques ex-soviétiques pour éviter des pénuries et une explosion des prix : quelles sont les conséquences possibles ?

Ça peut avoir des conséquences sur ces pays. L’annonce en Russie concerne les pays de l’Union économique eurasienne, qui achètent une partie de leur blé à la Russie. Il va falloir surveiller un peu les conséquences pour ces pays. Il est certain que la Russie va regarder de près, sans doute dans les prochaines semaines, qui va rester docile et silencieux sur le terrain diplomatique, pour ne pas critiquer l’action du Kremlin en Ukraine, pour éventuellement maintenir des flux céréaliers. On peut tenir un robinet céréalier de la même manière que d’autres un robinet énergétique, et conditionner le maintien de flux ou à des prix plus avantageux en fonction des alliances et des allégeances qui se dessineraient. Une partie de la planète, compte tenu de ses besoins alimentaires, va peut-être regarder à deux fois avant de s’exprimer aux Nations unies.
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