ANALYSES

Pourquoi il y a autant de mystères autour de la vie privée de Vladimir Poutine ?

Presse
16 mars 2022
Interview de Lukas Aubin - Ouest France
On lit tout et son contraire sur la vie privée de Vladimir Poutine. Ce sont principalement des rumeurs ?

On peut dire en effet dire que de nombreuses informations qu’on peut notamment lire dans certains médias au sujet de Vladimir Poutine sont de l’ordre de la rumeur. Il est difficile de prouver que sa famille est réellement en Suisse, on ne sait même pas officiellement combien il a d’enfants.

On entend qu’il en aurait eu deux avec son ex-femme et quatre avec sa compagne actuelle, sans certitude. On entend aussi qu’il serait atteint par une maladie mais il est quasi-impossible de confirmer cette information. Effectivement son physique se transforme mais il a désormais 70 ans, c’est assez normal qu’il change.

Pourquoi autant de rumeurs circulent à son sujet ?

Les informations manquent à son sujet, on ne sait pas qui il est réellement alors une forme de mystère se crée et cela déclenche beaucoup de fantasmes à son égard.

« En tant qu’ancien agent du KGB, le secret c’est un pilier de sa vie »


Quelles sont les raisons de ces mystères ? Pourquoi est-il si secret sur sa vie privée ?

D’abord, il est important de rappeler que Vladimir Poutine est issu des services secrets russes, le KGB. Le contrôle de son image y était exigé, c’est une des conditions sine qua non pour en devenir membre. C’est donc un pilier de sa vie. Une des autres raisons principales à ses mystères, c’est la dimension sécuritaire. S’il reste si secret sur sa vie privée c’est avant tout pour se protéger lui, ainsi que sa famille.

Et il pousse la sécurité à son extrême depuis deux ans. Il serait en effet plongé dans une paranoïa depuis l’épidémie de Covid-19. On s’en rend compte par une succession de scènes : il reçoit de moins en moins souvent d’hommes politiques, d’oligarques ou d’autres personnes influentes au Kremlin et quand c’est le cas, il pousse les distances à l’extrême, à l’image de la table sur laquelle il a dernièrement reçu Emmanuel Macron. Il le fait aussi avec de proches ministres.

Ne pas parler de sa vie privée fait-il aussi partie des mœurs en Russie ?

Pas nécessairement. Son prédécesseur Boris Eltsine ne faisait pas autant de secrets. Il faisait même fait l’inverse et livrait facilement des informations personnelles. Tout comme le tsar Nicolas II, qui en disait beaucoup sur sa famille. Cela lui avait d’ailleurs joué des tours, une tranche de la population russe avait mal pris le fait qu’il mette en avant sa prospérité alors que la pauvreté touchait le pays.

Un contrôle aussi minutieux de sa vie privée laisse penser qu’il aurait des choses à cacher. Qu’en pensez-vous ?

Vladimir Poutine a comme beaucoup de politiques ou de personnes influentes en Russie, vécu dans les années 1990. Une époque où la Russie est entrée dans l’économie mondiale et où de nombreux oligarques ont fait fortune de manière plus ou moins légale. On le sait notamment pour certains oligarques comme Arkadi Rotenberg ou encore pour Loulia Timochenko, qui étaient des proches de Poutine dès les années 1990 voir avant. Son ascension est liée à ces oligarques. Il a donc un intérêt à distiller son passé.

Rester secret l’aide aussi à cacher sa fortune. Officiellement elle n’est pas très importante : il toucherait son salaire de président de la fédération de Russie qui n’est pas très élevé et il posséderait seulement une maison à Moscou et quelques voitures, rien de plus. Mais ce n’est pas ce qui se dit officieusement…

L’homme fort du Kremlin a pourtant déjà livré quelques détails sur son enfance, notamment dans les années 2000. Depuis quand les informations sont-elles aussi cadenassées ?

Il a aussi confié ses objectifs stratégiques et des éléments sur sa vie privée au réalisateur américain Oliver Stone dans le cadre d’un documentaire en quatre épisodes, intitulé Conversations avec Mr Poutine, sorti en 2017. Cependant, on y apprenait très peu d’informations inédites.

Tout ce que l’on sait date de la campagne qui a précédé son élection en 2000. En effet pendant cette campagne, il s’est rendu compte que lorsqu’il parlait de sa vie privée, cela plaisait à la population russe. Il en avait alors dit beaucoup : il racontait par exemple que c’était une petite frappe lorsqu’il était jeune et que le dojo l’a sauvé, que c’est grâce au judo qu’il est devenu président. Une grande majorité des choses connues sur Vladimir Poutine datent de cette période. Il n’y a aucune biographie récente qui apporte plus d’informations.

Comment parvient-il à filtrer toutes les informations le concernant  ? Au Kremlin, une équipe est-elle chargée de contrôler son image ?

J’imagine que c’est le cas sans en avoir la certitude. Je sais seulement qu’en 2000 plusieurs personnes travaillaient au contrôle de son image. Ils avaient alors l’objectif de présenter Vladimir Poutine avec une image hollywoodienne, le montrant comme un héros sauveur.

Il y parvient aussi en muselant la presse ?

Un tabloïd a été suspendu en 2008 après avoir émis l’idée que Vladimir Poutine avait une liaison avec Alina Kabaeva, gymnaste championne olympique en 2004 et double championne du monde, alors que le président russe était marié. Il s’agissait du Moskovski Korrespondent. Il est difficile de savoir si c’est réellement à la suite de cette affaire que le journal a fermé, mais à ce moment-là Vladimir Poutine avait dit qu’il éprouvait un profond mépris à l’égard des journalistes qui fouillent dans la vie privée.

Et depuis on peut dire qu’il n’y a plus ou presque de journalistes russes qui s’y frottent. Certains le font encore mais ce sont plutôt des activistes, notamment de l’équipe de l’opposant à l’homme fort du Kremlin, Alexeï Navalny.

 

Propos recueillis par Mathilde Le Petitcorps pour Ouest France.
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