ANALYSES

Pékin 2022 : entre boycott et démonstration de force, les enjeux diplomatiques derrière les Jeux olympiques

Presse
4 février 2022
Interview de Carole Gomez - Public Sénat
On se souvient de grands boycotts des Jeux olympiques dans les années 1970 et 1980, notamment à Moscou et Los Angeles dans un contexte de Guerre froide. Les sportifs des pays concernés avaient été privés de compétition. Désormais, il n’est plus question que de boycott « diplomatique ». De quoi parle-t-on ?

« Il faut faire une distinction entre le boycott sportif, qui consiste à n’envoyer aucun athlète participer à la compétition, et par voie de conséquence aucun représentant politique, et le simple boycott diplomatique. Les sportifs seront bien présents, mais pas les chefs d’État et les ministres qui, de manière coutumière, depuis une trentaine d’années, assistent aux cérémonies d’ouverture ou de clôture. Cela permet également aux pays d’éviter que les sportifs, qui sont souvent les témoins impuissants des tensions entre États, ne se retrouvent pénalisés par le CIO, puisque tous les comités olympiques nationaux sont tenus d’envoyer une délégation. C’est la raison pour laquelle la Corée du Nord, qui n’a pas envoyé d’athlètes à Tokyo l’année dernière, officiellement à cause du covid-19, est suspendue.

Ce boycott est-il susceptible d’avoir de réelles conséquences géopolitiques ?

On peut s’étonner que la seule réponse des États-Unis, qui accuse Pékin de crimes contre l’humanité et de génocide dans le Xinjiang, soit un simple boycott diplomatique. C’est un peu léger. J’imagine que des sanctions économiques pourraient intervenir dans un second temps, autour du bras de fer commercial entre les deux puissances, mais après la parenthèse olympique.

On notera également que ce boycott est assez peu suivi. Le but, avec ce genre de déclaration, c’est de s’assurer qu’un maximum d’entités vont vous suivre afin d’installer un rapport de force. De ce point de vue là, Joe Biden n’a pas vraiment réussi à isoler Xi Jinping et, finalement, c’est Washington qui apparaît un peu seule dans cette affaire. Inversement, le président chinois devrait être vu dans le Nid d’Oiseau aux côtés du président russe Vladimir Poutine, du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, ou encore du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Cela permettra à la Chine de retourner la situation et d’avoir une photo de famille qui soit aussi une image du monde tel qu’elle le conçoit, avec des personnalités auxquels les Occidentaux ne sont pas du tout habitués.

La France a refusé l’option du boycott. La ministre chargée des Sports Roxana Maracineanu sera présente à Pékin… mais pas pour la cérémonie d’ouverture. On a l’impression d’une demi-mesure sans grands effets ?

On se souvient que dès l’annonce du boycott par les États-Unis, il y a eu une communication prudente de l’Elysée, indiquant que l’exécutif voulait se donner le temps d’une réflexion collégiale avec le reste de l’Union européenne. Et puis il y a eu ce couac autour des déclarations de Jean-Michel Blanquer, aussitôt nuancées par Jean-Yves Le Drian. Ces atermoiements trahissent l’incapacité des Européens à se mettre d’accord.

Finalement, on peut parler d’un boycott déguisé de la part de la France, ou plus exactement d’un boycott décliné sur le mode du « en même temps » macronien : la France est présente, mais refuse d’être aux premières loges. Notons toutefois qu’il est d’usage de n’envoyer que le ministre des Sports aux jeux d’hiver, qui sont beaucoup moins médiatisés que les jeux d’été.

Pour quelles raisons accorde-t-on aux grands événements sportifs internationaux, et plus particulièrement aux Jeux olympiques, cette dimension diplomatique ?

Pendant les jeux, il y a des discussions qui avancent dans les couloirs. On peut parler d’une diplomatie, non pas secrète, mais discrète. Il y a ce côté universel, beaucoup de responsables politiques sont présents dans un contexte plus détendu et festif que l’Assemblée générale de l’ONU. Les partenaires se retrouvent avec la volonté de faire avancer certains dossiers.

Dans le cadre de ces jeux de Pékin, la relation sino-russe sera à surveiller de près. Rappelons que la Russie avait été exclue de la compétition par le tribunal arbitral du sport pour avoir transgressé les règles antidopage. Mais Xi Jinping s’est empressé d’envoyer une invitation formelle à Vladimir Poutine. On voit les échanges entre les deux puissances s’intensifier depuis plusieurs semaines. La Chine soutient la Russie dans la crise ukrainienne. Les Jeux olympiques vont certainement marquer une nouvelle étape dans le renforcement des relations entre Pékin et Moscou, d’autant que les États-Unis ne seront pas là pour apporter leur grain de sel.

Avez-vous en tête des exemples récents d’avancées diplomatiques rendues possibles grâce à des Jeux olympiques ?

Lors des derniers jeux d’hiver, à PyeongChang en Corée du Sud, on a assisté, dans un contexte d’escalade militaire, à un bref réchauffement des relations entre les deux Corées. Certes, cela n’a pas permis d’aboutir à de grands bouleversements géopolitiques, mais cette reprise ponctuelle du dialogue fait directement écho à la trêve sacrée qui se mettait en place dans l’Antiquité, durant les Jeux olympiques. La volonté de réactiver ce moment de paix, durant lequel la marche du monde est mise entre parenthèses, a été portée par une résolution de l’ONU, en marge des Jeux olympiques de Barcelone en 1992.

Jesse Owens qui refuse de faire le salut nazi à Berlin en 1936, le poing levé et ganté des Américains Tommie Smith et John Carlos lors des jeux de 1968, à Mexico… Au-delà du dialogue entre États, les Jeux olympiques peuvent aussi devenir un terrain de militantisme et de revendications pour les athlètes. Doit-on s’attendre à des démonstrations de ce type à Pékin ?

J’ajouterai aussi Cathy Freeman, brandissant le drapeau aborigène en 2000 à Sydney. Il faut rappeler que la règle 50 du CIO interdit formellement aux athlètes toute propagande politique et religieuse. Mais elle est de plus en plus mal comprise par la société civile, qui y voit une entrave à la liberté d’expression des athlètes. Elle a été quelque peu assouplie en juin 2020. Il est désormais possible de manifester des opinions sur le terrain, à condition de ne pas viser directement une population, un pays ou un gouvernement. Concrètement, c’est une manière d’autoriser les appels à la paix ou au vivre ensemble. Rien de plus. Dans la foulée, on a vu, lors des jeux de Tokyo, des footballeuses britanniques et chiliennes mettre un genou à terre pour protester contre le racisme, ou encore l’Américaine Raven Sanders, militante LGBTQIA +, former un X avec ses bras, en soutien aux personnes oppressées.

Pékin a publié un communiqué il y a quelques semaines sur la nécessité de respecter l’apolitisme du sport, et surtout les règles nationales en vigueur, sous peine de sanctions. Je sais aussi que plusieurs comités olympiques ont mis en garde leurs athlètes sur ce point. Par ailleurs, la bulle sanitaire et l’absence de public arrangent le pouvoir : le risque de voir apparaître un T-Shirt ou une banderole de soutien aux Ouïghours, par exemple, ne se pose plus.

 

Propos recueillis par Public Sénat.
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