ANALYSES

Barkhane : « On a été perçu comme une armée d’occupation »

Presse
29 janvier 2022
Trois coups d’État au Sahel en quelques mois. Comment expliquer ce jeu de dominos ?

II faut faire attention à ne pas généraliser. En Guinée, c’était l’usure du mandat d’Alpha Condé. II y avait un blocage de la situation politique. Au Mali, le coup d’État était lié à l’absence de dénouement de la crise législative par le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). On est certes dans des situations d’États fragiles, mais il y a chaque fois des éléments particuliers qui provoquent ces événements. Au Burkina, ça fait longtemps qu’on attendait ce coup d’État, parce que le président Kaboré, réputé, comme IBK, indécis, assez faible, man quant d’énergie, cherchant le consensus, se méfiait des militaires. Le Burkina se trouvait dans une situation d’insécurité forte.

Est-ce que cette succession d’événements complique la présence de la France ?

Oui, bien sûr. Le paradoxe de la France, c’est qu’au Mali, elle ne devrait pas commenter la politique intérieure, ne devrait pas faire de déclarations soutenant les sanctions en essayant même de les augmenter au conseil de sécurité de l’ONU ou au niveau européen. Cela ne peut s’expliquer que si l’on est certain que la junte à Bamako va tomber rapidement. Mais c’est un mauvais calcul, cette junte bénéficie d’un fort soutien populaire. Notre objectif est d’éviter que le Sahel soit entièrement déstabilisé, à commencer par le Mali. Cela aurait des conséquences sécuritaires pour la Fran ce, j’en suis convaincu. On a raison de rester au Sahel, mais si l’on souhaite rester, il ne faut pas être en incohérence avec nous-mêmes, alors qu’actuellement, on ne peut pas soutenir le Mali sur le plan sécuritaire, son armée tout en critiquant les dirigeants comme on l’a fait.

L’opération Barkhane doit-elle accélérer son retrait ?

Notre intérêt n’est pas de faire du court-termisme. On doit rester au Sahel et au Mali. Le président Macron avait annoncé (en juin 2021) une transformation de Barkhane. II y a eu beaucoup de mal adresses dans la communication, parce qu’on a parlé de la fin de Barkhane, tout en évoquant une transformation. Cette dernière n’a pas été visible sur le terrain. Mais elle est nécessaire. Ce qui explique son impopularité et son rejet de l’opinion publique, c’est le fait de ne pas communiquer assez, de ne pas inviter de journalistes africains, comme si Barkhane se battait tout seul contre les djihadistes sans s’hybrider, sans appuyer les armées africaines. On a été perçu comme une armée d’occupation qui considérait que les armées africaines n’avaient pas d’importance. Le constat, c’est que les armées africaines ont été marginalisées, et que Barkhane s’est occupée, en solo, de la lutte anti-terroriste au Sahel. Cette méthode peut passer lors d’une situation d’urgence, pas quand ça dure plusieurs années. On est arrivé dans une situation d’impasse. Emmanuel Macron a eu raison de réagir : la bonne réaction est de s’associer et de renforcer les armées africaines, et aussi de faire participer les Européens à travers Takuba, de multilatéraliser ce dis positif. Mais il est sans doute un peu tard. On n’y a pensé qu’en 2019. Le second problème est que Takuba est sous la tutelle de Barkhane, or les Européens n’ont pas très envie de se battre sous l’autorité de l’armée française dans un conflit où ils sentent qu’ils servent la politique française plus qu’autre chose… On aurait dû y penser dès 2014, quand Barkhane a pris le relais de Serval. Cela nous aurait évité une trop forte visibilité d’une armée de l’ancienne puissance coloniale et trop d’actions en solo qui rappellent les temps de la colonisation.

 

Propos recueillis par X.F. pour Le journal de Saône-et-Loire.
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