ANALYSES

La Russie et la Chine n’ont « pas intérêt à faire la guerre »

Presse
18 janvier 2022
Interview de Pascal Boniface - Sud Ouest




Vous, le géopoliticien, allez répondre jeudi aux questions des étudiants de Sciences Po Bordeaux. Comment définir votre discipline ?


Pour faire simple, c’est l’étude des rivalités internationales dans une approche pluridisciplinaire. Elle s’appuie sur l’histoire, la géographie, les sciences sociales. D’ailleurs, nos étudiants de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques, NDLR) en mastère de géopolitique viennent d’horizons très divers.


Il est question, bien sûr, de la paix et de la guerre. Croyez-vous que celle-ci puisse éclater… Croyez-vous que celle-ci puisse éclater en Ukraine, après une semaine intense de diptomatie qui semble n’avoir rien donné ?


Les choses n’ont guère avancé. Mais Américains et Russes se sont parlé et c’est une bonne nouvelle, même si cela se fait par-dessus la tête des Européens. Poutine sort renforcé car il est traité par les États-Unis sur un pied d’égalité alors que la puissance russe n’a plus rien à voir avec la puissance soviétique. Va-t-il pour autant attaquer l’Ukraine ? Je ne le pense pas, car il se mettrait dans un bourbier, en déclenchant une guérilla dans le Donbass. Malgré sa brutalité et son autoritarisme, comme on vient de le voir avec la dissolution de l’association Memorial, le président russe est responsable.


On vient pourtant d’assister à une cyberattaque massive sur les sites gouvernementaux à Kiev…

Il est en effet probable que Moscou soit derrière. Mais aussi agressive qu’elle soit, cette attaque ne saurait se comparer à une offensive armée. C’est plutôt une démonstration de force comme la Russie aime à les faire. Et une guerre de communication.

Comment peuvent répondre les Occidentaux?

Washington sort de la négociation en ayant resserré les rangs de l’Alliance atlantique (Otan, NDLR) et fait à nouveau figure de grand protecteur d’Européens qui ne parviennent pas à s’organiser. Ces derniers sont perdants. Car malgré un progrès dans la prise de conscience qu’il faut une alternative à la protection américaine, ils hésitent. La Pologne, par exemple, craint que l’avancée sur la défense européenne ne hâte un désengagement américain. Paris et Berlin avaient bien essayé de mettre
sur pied un sommet Union européenne (UE) et Russie, mais la Suède, la Pologne et les Pays-Bas
s’y sont opposés. Résultat : les Russes renoncent à traiter l’UE en acteur géopolitique et s’adressent directement à Joe Biden.

Deux autres « points chauds » inquiètent : l’Iran et Taïwan. Allons-nous vers des conflits armés ?

À Téhéran, c’est l’impasse. Le régime s’est durci au moment où les États-Unis élisaient un président plus ouvert au dialogue et au retour à l’accord de 2015 sur le nucléaire. Cette divergence de calendrier est dommageable, et il existe maintenant un front international anti-iranien uni. On voit bien une ébauche de rapprochement entre Téhéran et Riyad, mais l’éclaircie est timide. Quant à Taïwan, je ne crois pas un instant que Pékin se lancera dans une guerre de reconquête qui aurait des conséquences
économiques négatives. Xi Jinping, qui brigue un troisième mandat au Congrès du PCC en novembre, sait que la réussite matérielle est le pilier du régime. Donc l’immobilisme me semble bien plus probable que l’aventurisme.


Les États-Unis font de leur rivalité avec la Chine leur priorité. Mais ils semblent avoir perdu en crédibilité avec leur retrait d’Afghanistan…

Ce retrait aurait pu – et dû – se faire de façon moins chaotique car il a donné l’impression d’une débâcle et inquiétéy compris les alliés de l’Amérique. Mais il s’agit d’un changement de priorité : il était capital pour Washington de se désembourber de Kaboul pour se concentrer sur la Chine. Trump attaque Biden en l’accusant d’avoir sapé la crédibilité placé pour le faire car c’est lui qui a signé le premier accord avec les talibans. Aujourd’hui, le défi pour Biden est de restaurer la crédibilité américaine dont des alliés aussi proches que les États du Golfe ont commencé à douter. Or il préside un pays désuni où républicains et démocrates n’arrivent plus à se parler, comme en témoignent les difficultés du procès sur l’assaut du Capitole du 6 janvier 202L On finit d’ailleurs par se demander,
face aux difficultés de Biden avec le Congrès, s’il ne faut pas s’attendre à un retour de Trump à la
Maison Blanche en 2024.

Vous avez souvent dit que le sport était un sujet géopolitique. Or 2022, ce sont les JO d’hiver de Pékin et la Coupe du monde de football au Qatar…

Le sport est facteur d’importance croissante dans les relations internationales et on vient de s’en convaincre avec l’affaire Novak Djokovic. Le Premier ministre australien aurait-il eu la même attitude si le tennisman avait été américain ? On peut en douter. Aux Jeux olympiques, je pense que l’ère du boycott sportif est finie, mais le boycott diplomatique, comme celui qui affecte les JO d’hiver de Pékin
(4-20 février), montre que le sport peut être la continuation de la géopolitique par d’autres moyens. Et il n’est pas impossible qu’en 2024, des pays ou des organismes veuillent boycotter les Jeux d’été de Paris en invoquant telle ou telle raison contre la France.

Vous avez écrit que le Covid-19 avait déjà changé la face du monde. Vous confirmez ?

Ce que je dis, c’est que la pandémie n’a pas créé de facteurs géopolitiques nouveaux. En revanche, elle a amplifié et cristallisé plusieurs facteurs qui vont structurer les années qui viennent. Les deux principaux sont la rivalité entre les États Unis et la Chine, et la crise du multilatéralisme.



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