ANALYSES

La France fait partie des États les plus avancés en termes de prise de conscience des impacts sécuritaires et de Défense des changements climatiques

Presse
1 janvier 2022
Interview de Julia Tasse - Cols bleus
Quelles sont les conséquences majeures du changement climatique sur les milieux et les écosystèmes marins et côtiers ?
De manière générale, le dérèglement climatique se traduit par une accumulation de chaleur dans l’atmosphère, créant à la fois des conditions pour une intensification des phénomènes climatiques (tempêtes, cyclones, pluies) et pour la fonte des glaciers continentaux. II a deux effets majeurs directs sur l’océan : le réchauffement de ses eaux, en commençant par les eaux de surface, et leur acidification. Ces perturbations vont en entraîner d’autres, qui auront un impact direct sur les activités humaines. Ainsi, la fonte des glaces et le réchauffement des eaux provoquent une augmentation du volume des eaux océaniques, la montée du niveau de la mer et la modification du trait de côte. Les vents et les courants seront plus volatils et moins prévisibles. La présence d eaux plus chaudes amplifie les tempêtes tropicales, augmentant la fréquence et l’intensité des cyclones. Les conditions de vie des écosystèmes sont alors altérées : les eaux plus chaudes et plus acides poussent les espèces animales à la migration vers les pôles ou les profondeurs alors que les submersions et la force des vagues affectent certains végétaux côtiers. Quand cela est possible, la faune et la flore migrent ou s’adaptent. Certaines espèces périclitent tandis que les plus résistantes prolifèrent. Les hommes qui dépendent de ces écosystèmes voient leurs habitats menacés par les inondations ponctuelles ou récurrentes, leurs revenus compromis et leurs sources d’alimentation s’appauvrir.

Quelles en sont ou seront les conséquences sur les activités et les sociétés humaines ?

Devant ces situations, les activités économiques vont être amenées à changer : les pratiques et techniques doivent évoluer, que ce soit pour la pêche, le transport ou le tourisme. Ces changements et la modification de certaines zones d’activité peuvent mener les opérateurs à franchir des interdits, réglementations environnementales comme frontières interétatiques. Les risques de multiplication de délits en mer ou de recrudescence de certaines activités illégales
ne doivent pas être écartés. Les tensions, face à des ressources de moins en moins accessibles ou abondantes, pourraient également se durcir. Profitant de ce contexte, des organisations criminelles pourraient s’appuyer sur la détresse des populations pour y étendre leur recrutement et développer leurs activités dans des régions jusque-là épargnées. Les États auront alors à faire face à des communautés exposées à la montée des eaux et la raréfaction des ressources, dépourvues de perspectives d’horizons, et à l’émergence de trafics, piraterie et pêches illégales. Les technologies d’anticipation des phénomènes climatiques ainsi que de surveillance maritime vont devenir indispensables. Les moyens de surveillance, contrôle et suivi seront graduellement mobilisés pour porter secours aux populations et endiguer la montée des flux illégaux.

Comment ces évolutions redistribuent-elles les cartes en déplaçant ou faisant apparaître de nouvelles zones de conflit en mer ?

Certains espaces maritimes sont particulièrement exposés : la Méditerranée, mer déjà fortement polluée, se réchauffe
deux fois plus rapidement que la moyenne mondiale ; les zones de formation des cyclones voient l’intensité des tempêtes tropicales augmenter ; les régions de mangrove font face à la diminution drastique de ces écosystèmes.
À cela s ajoutent les équilibres socio-économiques des communautés littorales, qui dépendent parfois fortement de certains écosystèmes et pourraient voir leurs sources de revenus et d’alimentation rapidement s’amoindrir. On peut donc imaginer que certains espaces maritimes deviennent le théâtre de compétitions toujours plus prégnantes autour de ressources communes : le golfe de Guinée, la mer de Chine méridionale, la mer Méditerranée, certaines zones thonières de l’océan Indien, etc. Néanmoins, les zones de conflit actuelles ne seront que peu ou pas déplacées, car elles sont souvent liées à des éléments exogènes du climat, tels que des revendications territoriales. Des tensions additionnelles pourraient néanmoins émerger, partiellement liées à l’ébauche de nouvelles routes maritimes (légales et illégales), exigeant le déploiement de moyens supplémentaires pour la surveillance et le contrôle.

Quels en sont les hotspots à l’échelle planétaire ?

Plus globalement, les impacts des changements climatiques sur l’océan vont entraîner un nouveau dessin des littoraux
et des grands axes maritimes. En Asie du Sud et du Sud-Est, de nombreuses régions deltaïques et insulaires pourraient être submergées de manière régulière ou définitive. Plus au nord, la route du Nord, bien que les conditions de navigation n’y soient sans doute pas faciles dans les prochaines décennies, constituera une opportunité supplémentaire pour le secteur du transport. Autant de zones dont il conviendra d’assurer la surveillance et, dans une moindre mesure, la protection. Les populations côtières, sans autre solution que le déplacement, iront irriguer les flux migratoires et pourraient être contraintes de travailler pour des réseaux criminels ou d’y recourir. La submersion de certaines zones agricoles, d’aires industrielles et des ports associés modifiera les échanges de denrées alimentaires et de produits manufacturés. Des ajustements seront nécessaires, tant du point de vue des armateurs que des acteurs
de la sécurité en mer.

Comment la France, notamment via sa marine, répond-elle à ces menaces ?

La France fait partie des États les plus avancés en termes de prise de conscience des impacts sécuritaires et de Défense des changements climatiques. Elle a ainsi, à la suite de la COP21 en 2015, entrepris la mise en place d’un observatoire spécifique, qui a travaillé pendant plus de quatre ans à l’étude des liens entre climat, défense et sécurité
(et auquel j’ai eu la chance de contribuer). La première étape, celle de la connaissance, est donc en cours. La compréhension et l’anticipation suivront, ainsi que, nous l’espérons, l’adaptation des moyens, des missions, des formations. La Marine doit également, à son échelle, continuer à s’emparer du sujet : contribuer à une meilleure compréhension des interactions entre l’atmosphère et l’océan, anticiper l’éventuelle modification des zones économiques  exclusives (ZEE) en raison des évolutions des lignes de base, ou encore la vulnérabilité croissante des populations côtières. II est inévitable que les changements climatiques aient un impact sur les activités de la Marine,
tant dans la surveillance de la zone économique exclusive (ZEE) française – qui pourrait attirer les convoitises à mesure que les ressources halieutiques se font plus difficiles d’accès que dans l’adaptation des bases côtières et
des technologies (la salinité, la température et la densité des différentes strates océaniques étant amenées à changer).

 

Propos recueillis par Hélène Perrin pour Cols Bleus.
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