ANALYSES

Émeutes au Kazakhstan : « La Russie a d’autres moyens d’influer qu’une intervention directe et massive »

Presse
5 janvier 2022
Que se passe-t-il au Kazakhstan ?

Ce n’est pas la première fois qu’il y a des manifestations au Kazakhstan. Il y en a eu à chaque épisode électoral. C’est un pays qui n’est pas si stable que cela. Il y a différents clans qui rivalisent pour le pouvoir. Il y a aussi une minorité en diminution de Russes, de l’ordre d’environ 20%, surtout dans les provinces du Nord. C’est le pays qui a gardé le plus de Russes après la chute de l’URSS. On a cru a une transition en douceur lorsqu’en mars 2019 Noursoultan Äbichouly Nazarbaïev, l’ancien président qui a régné trente ans, a cédé la place à Kassym-Jomart Kemelouly Tokaïev, qui était un candidat tout à fait agréé par Moscou. Le problème, c’est que Nazarbaïev est resté aux commandes. Il a pris la direction du Conseil national de sécurité et a été nommé père de la patrie. Il reste donc un acteur très puissant de la vie politique. Cela n’a pas été vécu par la population kazakhstanaise comme une vraie transition. Le deuxième élément, c’est la grande crainte des Russes que le départ des Américains d’Afghanistan déstabilise le pays et conduise à une réactivation des réseaux islamistes. Il n’est pas du tout exclu que cela se réalise. Ajoutons à cela le fait que c’est un pays très inégalitaire, bien que ce soit le pays le plus riche de la région puisque son PIB est quasiment l’équivalent de tous les autres PIB d’Asie centrale. Cette richesse est mal répartie. Par conséquent, l’augmentation du prix du gaz liquéfié a suffi à créer l’étincelle qui démarre ce type de troubles.

Comment la situation peut-elle évoluer ? Est-ce que Moscou peut intervenir ?

Si l’on en juge par les précédents, Moscou essaie d’éviter l’intervention franche et massive. Lors de la crise au Kirghizistan en 2010, le pays avait appelé l’Organisation du traité de sécurité collective, dont la Russie est l’acteur principal, au secours du gouvernement et ils se sont bien gardés d’intervenir. La Russie a quand même d’autres moyens d’influer qu’une intervention directe mais elle a des intérêts très importants au Kazakhstan. C’est le pays qui est resté le plus proche de la Russie après la chute de l’URSS. Il y a l’énorme base de Baïkonour, d’où elle lance ses satellites. Cela représente quasiment deux ou trois départements français. C’est un énorme territoire avec toutes les installations spatiales. Il y a donc une sensibilité beaucoup plus forte sur le plan stratégique pour les Russes au Kazakhstan. De fait, je ne pense pas qu’ils interviennent mais ils suivent ça comme le lait sur le feu.

Est-ce le signe d’une perte d’influence de plus en plus forte de la Russie sur les anciennes républiques de l’URSS ?

Ce sont des convulsions que l’on pourrait qualifier de postcoloniales. Les pouvoirs en place actuellement sont des pouvoirs qui, dans l’ensemble, donnent satisfaction à la Russie. Ils savent garder l’équilibre entre la Chine et la Russie. Cependant, tous revendiquent une diplomatie multivectorielle qui leur permet de signer – c’est le cas du Kazakhstan – des accords avec l’Italie, des pays de l’Otan ou encore la Turquie. Il y a une véritable autonomie en politique étrangère de ces pays, pourvu qu’ils ne rentrent pas dans l’Otan et qu’ils gardent de bonnes relations avec la Russie. Mais il est clair que ces indépendances conduisent à un affaiblissement de la présence physique des Russes et de l’influence russe dans ces pays. Le Kazakhstan, par exemple, a pris l’an dernier une loi qui organise le passage de l’alphabet cyrillique à l’alphabet latin en 2025.

Y a-t-il un risque de répression sur place ?

Je crois qu’elle y est déjà mais, pour l’instant, cette répression reste dans des normes que l’on pourraient qualifier de convenables, c’est-à-dire qu’on ne tire pas sur la foule. Ce sont des grenades lacrymogènes et des matraques. Il faut espérer que cela reste à ce niveau.

 

Propos recueillis par France info.
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