ANALYSES

Quelle est la stratégie de Vladimir Poutine pour restaurer la puissance russe ?

Presse
24 décembre 2021
Interview de Jean de Gliniasty - TV5 Monde
Quelle est la stratégie de Poutine pour renouer avec la puissance de l’URSS ?

Selon moi, la question ne correspond pas à la réalité. Poutine est suffisamment lucide pour savoir qu’il ne retrouvera jamais la puissance de la Russie du temps de l’URSS. Pour ne serait-ce qu’une raison : la Chine est une superpuissance. Ce que la Russie n’est pas.

Ce que Poutine cherche à obtenir dans le monde multipolaire, c’est de jouer d’égal à égal avec les autres pôles et d’être une puissance qui lui permet de jouer sur le vaste clavier du monde multipolaire. Il ne cherche pas à retrouver cette fiction d’un dialogue russo-américain tel qu’il existait avant.

Comment expliquer le retour en force de la Russie sur la scène internationale ? 

La Russie est redevenue une puissance économique. Elle a complètement restauré son armée. 70% de son matériel est ultra-moderne. Le prix du pétrole augmente et ça fait leurs affaires [la Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole, NDLR ]. Ils redeviennent un joueur international, mais dans un monde multipolaire.

La Russie estime avoir la puissance nécessaire pour jouer à un jeu multipolaire et pour parler d’égal à égal avec les uns et les autres.

Quelle est la ligne de la politique russe en Ukraine ?

C’est une ligne qui a été définie il y a très longtemps, dès la chute de l’URSS. La Russie a demandé que les républiques socialistes soviétiques constitutives de l’URSS ne fassent pas partie de l’Otan.

À l’époque, on avait donné à Gorbatchev l’assurance que l’Otan ne s’étendrait pas à ses frontières. La-dessus, la Russie a une ligne constante. Maintenant, Poutine fait monter les enchères. Pourquoi ? Il n’est même plus question de l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan – on sait bien que les Français et les Allemands y sont réticents.

La question, c’est que l’Otan est déjà sur place et déploie des experts, livre du matériel etc… Les Russes se sont rendus compte qu’ils étaient en train de rater l’essentiel, à savoir que l’Ukraine rentrait de facto dans l’Otan. C’est la coopération accrue de l’Ukraine avec l’Otan qui a incité les Russes à faire monter les enchères.

La situation en Ukraine peut-elle dégénérer ?

Oui, pour d’une raison très simple : des deux côtés, il y a des têtes brulées, des gens qui pensent que seule une guerre permettra à l’Ukraine, avec l’appui de l’Otan et les États-Unis, de récupérer son territoire. Chaque fois qu’il y a eu des négociations, il y a eu des incidents, des tirs de snipers, des bombardements…

Est-ce que cela montre un regain de confiance dans la puissance de la Russie ? 

Les Russes ont compris que le temps joue contre eux et que s’ils ne mettent pas les choses au point, ils allaient tout perdre et se retrouver avec des troupes de l’Otan hyper-sophistiquées en Ukraine. C’est pour ça qu’ils ont tendance à brusquer les choses.

Quelles sont les faiblesses structurelles de la Russie ? 

Sur le plan stratégique, il y en a très peu. Il ne faut pas non plus surestimer la capacité militaire de la Russie. Même si son budget est le quatrième budget militaire au monde, il représente la moitié de l’ensemble germano-français et un douzième du budget américain.

L’autre faiblesse est économique. La Russie dépend à 60% de ses exportations de ses hydrocarbures. La Russie tire la moitié de ses ressources en devises de l’Union européenne. C’est une faiblesse. La diversification de l’économie russe, elle aussi, n’est pas suffisante.

Ces faiblesses empêchent-elles la Russie de se hisser au niveau de ses rivaux ?

Le progrès économique est bloqué par la situation internationale. Si vous prenez l’Union européenne en matière stratégique, elle ne pèse rien par rapport à la Russie. Mais si vous prenez les Etats-Unis et la Chine, la Russie est très loin derrière.

Mais l’ambition de la Russie n’est pas d’être un super grand. C’est d’être un joueur efficace qui défend ses intérêts dans un monde multipolaire. Ils ne réuississent pas si mal que ça.

Le développement de l’axe Moscou-Pékin est-il une priorité de Poutine ?

Si elle n’arrive à régler le problème de l’Ukraine, la Russie n’aura pas besoin de se jeter dans les bras de la Chine. Il n’y a pas d’alliance entre les deux pays mais des coopérations, qui sont de plus en plus étroites car la Russie se sent isolée à l’ouest. Poutine cherche un équilibre.

La priorité de Poutine, c’est la neutralisation de l’avancée de l’Otan. Une fois qu’il aura réglé ce problème, il pourra se pencher sur le développement économique du pays et son effondrement démographique [le pays a perdu quasiment un million de personnes entre octobre 2020 et septembre 2021, NDLR].

 

Propos recueillis par Clément Perruche pour TV5 Monde.
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