ANALYSES

Omicron : « Nous allons devoir atteindre 95% de vaccinés »

Presse
15 décembre 2021
Interview de Anne Sénéquier - TourMag
En septembre, nous pensions que le Covid-19 ne serait qu’un lointain souvenir, puis en novembre l’Europe a été frappée par une 5e vague et le variant Omicron est apparue. Petit à petit les frontières se sont refermées…

La fermeture des frontières n’a jamais empêché le virus de circuler. Au mieux cela entraîne une légère diminution du taux d’incidence. Avec le coronavirus, nous avons bien vu que les fermetures successives des frontières au début de l’épidémie, puis du variant alpha, delta et omicron, n’ont rien changé. Déjà en 2005, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la totalité de ses états membres avaient signé le Règlement Sanitaire Internationale (RSI). L’objectif de cette ratification était (entre autres) d’éviter que les frontières ne ferment, dès qu’il y avait un problème sanitaire. Le RSI prévoyait que les gouvernements prennent en considération l’impact socio-économique d’une telle mesure, au moment de prendre des décisions. Les autorités se sont beaucoup « cachées » derrière le principe de précaution en fermant leurs frontières. C’est plus une mesure à destination de la population, qu’une réelle mesure de santé publique. De plus, le message envoyé aux autres pays est très délétère pour la suite de la pandémie.

C’est-à-dire ?

En résumé, le message qui passe est : si vous détectez un nouveau variant, vous pouvez être sûr que le monde vous ferme ses frontières dans les 48H. Vous pouvez être sûr que cela va dissuader certains de communiquer s’ils trouvaient un nouveau variant sur leurs territoires… surtout après 2 ans de crise économique sans précédent. Fermer les frontières n’a donc aucun avantage, si ce n’est pour les autorités de rassurer sa population, face à la peur de la maladie. C’est un réflexe humain et de peur. Quand le variant omicron a été détecté, au lieu de procéder à ces restrictions, nous aurions dû essayer d’évaluer l’état des systèmes de santé des deux pays (France et Afrique du Sud, ndlr), séquencer énormément, intensifier l’identification des chaines de transmission et isoler les cas contacts du nouveau variant. Pour finir, il aurait été plus judicieux de communiquer avec la population et les voyageurs, intensifier les contrôles sur les flux de population entre les deux pays… Puis il serait intéressant de séquencer de façon rétroactive, deux mois auparavant, pour retrouver les traces de la mutation dans la population. Nous observons que les 53 pays, où le variant Omicron est présent, ce sont des nations qui peuvent séquencer.

Les premières études sont plutôt rassurantes concernant le variant Omicron, avec peu de formes graves…

Un 1er décès a été relevé en Angleterre, mais en effet, jusqu’à maintenant peu de formes graves ont été répertoriées. Aujourd’hui, ce qui est plutôt inquiétant, c’est la capacité de croissance du variant. Il est fort probable qu’il devienne rapidement dominant. L’OMS prédit un variant Omicron dominant sur la région Europe dés les premières semaines de janvier 2022. Cette capacité de croissance peut vouloir dire deux choses, qui peuvent coexister : une plus grande transmissibilité et une plus grande facilité à infecter les patients déjà immunisés (soit par la vaccination soit par une contamination antérieure à la Covid). Les données à venir des études en cours, nous en apprendrons plus. Cependant si nous avons vraiment un variant capable de réinfecter les patients déjà immunisés… cela serait quasiment comme un retour à la case départ… L’émergence du variant Omicron repose la question de l’équité de répartition des vaccins à travers le monde. L’Occident est occupé par cette dose de rappel, alors qu’en attendant certains pays ne sont toujours pas vaccinés. C’est pourquoi il est primordial de vacciner le monde dans sa globalité en même temps. L’iniquité vaccinale entre les différentes régions du monde, génère cette situation où le virus continuant à circuler à grande échelle… fabrique des nouveaux variants… qui invariablement vont venir challenger notre immunité acquise par une première campagne de vaccination. Pour l’instant nous sommes plutôt chanceux, le vaccin à ARNm reste très efficace face au variant Omicron, mais à 3 doses !! 75% de protection contre 30% à 2 doses.

Je comprends que cela soit un problème que le variant puisse contourner les vaccins, mais si les formes de la maladie sont plutôt légères. En quoi la prolifération d’Omicron pose problème ?

Les formes peu graves sont pour le moment une hypothèse. D’autre part, elles ne sont pas graves, si vous êtes vaccinés. Que ce soit le variant Delta ou Omicron, nous nous rapprochons d’un virus de type rougeole. C’est-à-dire un virus qui a besoin d’avoir face à lui une population vaccinée à plus de 95% pour lui faire barrière. Avec ces mutations, nous allons très probablement devoir atteindre ce cap. La France, même en étant un bon élève, avec ses 71% de la population totalement vaccinée, cela ne suffira pas. Tout simplement parce que le variant semble se diffuser plus rapidement et plus facilement que le delta. Au bout de ces chaines de transmission, il y aura forcément à un moment donné une des 5 millions de personnes non vaccinées. Nous avons actuellement 5 millions de personnes non vaccinées en France qui devraient l’être et ce sont eux qui sont à risques de développer une forme grave et de décéder. Nous n’avons clairement pas 5 millions de places en réanimation en France. Rappelons nous que notre système de santé n’est pas au mieux de sa forme. Il y a 2 ans déjà, il manquait de moyen, de personnels… c’est pire aujourd’hui. Le personnel est démotivé et ne comprend pas la situation. Ils voient des gens mourir de refuser un vaccin. C’est très perturbant pour un soignant. Nous voyons de nombreux personnels de santé quitter l’hôpital… alors que nous manquons déjà de personnel. Aujourd’hui, nous fermons des lits parce que nous manquons de médecins et d’infirmier ! Il faut prendre ce contexte en considération, face à l’arrivée du variant omicron. S’il est déclaré comme effectivement moins violent, ça sera une bonne chose, mais c’est loin d’être suffisant pour être insouciant.

Avec 95% de la population vaccinée pour enrayer la propagation de l’épidémie, nous nous dirigeons vers une obligation vaccinale…

L’idée fait son chemin. Il suffit de voir ce qu’il se passe en Autriche ou en Allemagne. Il n’est pas impossible que cela arrive chez nous aussi. Nous avons une population qui jusque là a plus été une bonne élève, avec un bon taux de vaccination. Si d’aventure Omicron venait challenger le répit que nous pensions obtenir avec la vaccination, il est pensable que nous passions par la vaccination obligatoire. D’autres pistes n’ont pas été explorées en France, comme des mesures incitatives, autres que le pass sanitaire. Le Canada a proposé des bourses d’études, Singapour a mis en place des loteries pour gagner un appartement. Pour protéger la légitimité de notre démocratie, il sera judicieux de ne pas en arriver à l’obligation vaccinale.

Jean-François Delfraissy, le président du Conseil scientifique, parlait récemment d’une 4e dose. Allons-nous devoir reprendre une injection tous les 6 mois?

Nous, ce ne sera pas nécessaire. Nous allons voir combien de temps dure l’effet de la 3e dose. Nous apprendrons au fur et à mesure, avec des schémas de vaccination qui ne sont pas tous identiques. La 1ère dose et la 3e n’ont pas le même effet. Rappelons-nous qu’au tout début de la pandémie, il y avait 236 candidats vaccins contre le covid-19. Nous avons actuellement la 1ère génération et d’autres candidats vaccins sont en cours d’élaboration, dont certains avec un profil immunitaire plus long. Cela nous éviterait de devoir prendre une dose tous les 6 mois.

 

Propos recueillis par TourMag.
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