ANALYSES

Où est Peng Shuai : « Une disparition inquiétante à plus d’un titre »

Presse
19 novembre 2021
Interview de Carole Gomez - LCI.fr
En quoi la disparition de Peng Shuai est-elle inquiétante ?

Elle l’est à plus d’un titre. Cela fait plus d’une quinzaine de jours que Peng Shuai a posté son message sur Weibo. Il a été effacé au bout d’une vingtaine de minutes, tout comme les hashtags affiliés. L’inquiétude s’est renforcée ces derniers jours, avec le courriel qu’elle a supposément envoyé, dans lequel elle nierait ce qu’elle a déclaré préalablement. Le patron de la WTA Steve Simon a émis de forts doutes sur le fait qu’elle ait pu l’écrire ou qu’elle ait pu le faire librement, sans entrave ni pression extérieure. Sa disparition est inquiétante, car la WTA (l’association qui gère le circuit féminin professionnel, ndlr) n’a eu aucun échange direct avec Peng Shuai. Les autorités du tennis mondial ont eu systématiquement affaire à des intermédiaires, qui leur ont affirmé qu’elle allait bien et se reposait en Chine.

La chaîne d’État chinoise CGNT, affiliée au régime, a diffusé le prétendu mail de Peng Shuai. Au lieu de rassurer sur sa condition, il n’a fait, au contraire, qu’éveiller les doutes…

Lorsque vous lisez les deux textes, vous pouvez noter une tonalité complètement différente. Dans le second message qui lui est attribué, il y a un côté très formel dans la formulation, qui tranche avec le style d’écriture très direct de Peng Shuai dans le post qu’elle a écrit sur Weibo. Sa diffusion par ce média affilié au gouvernement chinois, sans que personne soit en lien direct avec elle, renforce la suspicion.

Quand j’ai vu comment les choses étaient en train de se développer, cela m’a fait penser, toute proportion gardée, à l’affaire Jamal Khashoggi (assassiné le 2 octobre 2018 au consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, ndlr), avec une absence totale de communication de la part de l’État suivi de l’envoi d’un « démenti » qui, en réalité, ne convainc pas tout le monde. J’espère, sincèrement, que l’issue ne sera pas la même.

La communauté du tennis a-t-elle réagi suffisamment tôt ?

La WTA et, plus largement, le monde du tennis ont tardé à se saisir de son cas. Le hashtag #WhereIsPengShuai a tourné sur les réseaux sociaux pendant une dizaine de jours, sans forcément être relayé par les personnes en charge des affaires du tennis. L’une des craintes de ceux qui avaient lancé le hashtag était qu’il tombe dans l’oubli avec le temps. Il a fallu attendre autour du 10-12 novembre pour voir Alizé Cornet et Nicolas Mahut se positionner. Ils l’ont fait, parce que ce qui se passe avec Peng Shuai est un sujet qui doit nous concerner tous personnellement et professionnellement, quels que soient nos liens avec le monde du tennis. Leurs prises de position ont d’ailleurs poussé la WTA à s’emparer de ce dossier.

On sent désormais une réelle volonté de réclamer des comptes à la Chine…

Rappelons que son premier communiqué était soft, neutre et prudent. Il ne se concentrait pas tant sur la disparition de Peng Shuai que sur les accusations qu’elle a formulées contre le vice-Premier ministre chinois. Ces trois derniers jours, la WTA s’est faite beaucoup plus directe dans ses communications. Son patron Steve Simon n’a pas hésité pas à parler de sanctions, malgré le poids économique et politique majeur de la Chine dans le tennis. On assiste à une vraie montée en puissance de la mobilisation, tant du côté institutionnel que des joueuses et joueurs. Stan Wawrinka, Novak Djokovic, Naomi Osaka, Serena Williams, Kim Clijsters, et on peut en citer beaucoup d’autres, se sont manifestés. Quelque chose est en train de se passer.

Face aux menaces de la WTA, est-ce que Pékin peut infléchir sa position ?

On va sans doute rentrer dans une logique de bras de fer. La Chine est au cœur de l’économie de la WTA et du monde du tennis (pas moins de 11 tournois féminins y sont organisés, ndlr). Par le passé, il y a déjà eu des déclarations qui ont fortement déplu à Pékin et qui ont entraîné des sanctions. Je pense au cas de Daryl Morey, l’ancien General Manager des Houston Rockets. Il avait posté un tweet de soutien aux manifestants de Hong Kong, qui lui a valu de se faire virer de la franchise. La CCTV avait suspendu la diffusion de matchs d’exhibition, alors que la Chine est un marché colossal pour la NBA à l’international.

On ne voit pas véritablement quels vont être les scénarios qui vont s’esquisser. Les questions posées aux autorités chinoises ont été bottées en touche. Il reste à savoir comment le reste du monde du sport va réagir, notamment le Comité international olympique (CIO), qui a été interpellé pour prendre position. Aujourd’hui, il y a un vrai enjeu pour la Chine sur les questions sportives et diplomatiques, alors que Pékin a déjà beaucoup à faire avec l’accueil des Jeux olympiques et des paralympiques (du 4 au 20 février, puis du 4 au 13 mars, ndlr) et que les États-Unis envisagent un hypothétique boycott diplomatique.

Derrière ce cas-là, c’est aussi la méthode des « disparitions forcées », courante en Chine, qui est en cause…

Ce qui est sûr, c’est qu’en formulant ses accusations, Peng Shuai savait à quoi elle s’exposait. Elle avait écrit sur Weibo qu’elle pourrait payer le prix fort en accusant, si ouvertement, un homme si haut placé d’actes si importants. Son message visant l’ancien vice-Premier ministre chinois a été laissé en ligne une vingtaine de minutes avant d’être effacé. Les hashtags #Tennis, #PengShuai et #ZhangGaoli n’avaient plus de correspondances sur le réseau social chinois. Il y a eu une stratégie mise en œuvre pour faire disparaître tout ce qui faisait le lien entre les différentes personnes.

Propos recueillis par Yohan ROBLIN pour LCI
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