ANALYSES

Pékin-Washington : une nouvelle guerre froide ?

Presse
20 octobre 2021
Jamais depuis la disparition de l’Union soviétique en 1991 la compétition entre grandes puissances fut à ce point au cœur des relations internationales. La rivalité Pékin-Washington ne s’exprime pas seulement dans une multitude de domaines, elle a également des conséquences planétaires en raison du niveau de puissance des deux pays. Dans un climat délétère souvent qualifié, à tort ou à raison, de nouvelle guerre froide, chacun est invité à prendre position.

Dans ce décor, l’Europe est sollicitée pour désigner un adversaire commun, un « rival systémique », et recomposer un front qui rappelle l’opposition qui divisa le Vieux Continent pendant près d’un demi-siècle. La question est similaire en Afrique, au Moyen-Orient, en Amérique ou en Asie. Le duel Pékin-Washington nous concerne tous, au risque de nous entraîner dans une bipolarité aussi peu justifiée que dangereuse. Peu justifiée car elle n’est pas, contrairement à l’opposition Est-Ouest, idéologique ni même systémique ; dangereuse car elle est porteuse des plus grandes incertitudes quant à son impact économique, politique et sécuritaire.

La confiance dans la relation transatlantique affectée

Si les pressions exercées par les États-Unis sur leurs alliés européens sont fortes et affectent la confiance dans la relation transatlantique, l’influence de plus en plus perceptible de Pékin sur les pays européens pose également problème. De fait, la hausse constante des investissements chinois et les multiples partenariats associant l’empire du Milieu et des pays européens impliquent une réflexion et une réponse européennes aux changements profonds que cette nouvelle donne chinoise impose. On retrouve des problèmes similaires dans d’autres régions. On peut s’interroger sur les contours de cette « réponse européenne » quand on connaît les dissonances en Europe sur la relation avec Pékin, mais elle doit indispensablement écarter toute tentation de bipolarité tant cette dernière ne sert pas les intérêts européens.



De même, l’absence de leadership qui caractérise les relations internationales contemporaines est à moyen terme plus probable qu’une nouvelle bipolarité. Or, si la Chine s’affirme, c’est aussi le rôle de la grande puissance et le leadership qui pourraient être durablement modifiés. La nature de ce leadership d’abord, puisque la Chine n’est pas une démocratie ; ses intentions ensuite, le temps de la « puissance bienveillante » américaine, en vogue dans les années 1990, se conjuguant désormais au passé ; sa portée, enfin, puisque Pékin n’est pas encore parvenu au niveau de l’hyperpuissance qui fut celle de Washington, à savoir une position dominante dans tous les domaines. En d’autres termes, les interrogations sont multiples et ne font que débuter, tandis que les relations internationales sont entrées dans une de ces transitions de puissance qui les ont jalonnées.

Mais cette transition de puissance doit-elle nécessairement conduire à un piège de Thucydide, conséquence d’une escalade justifiée par une perception négative de l’autre, entraînant malgré eux les États-Unis et la Chine – et le monde – dans un conflit inévitable ? Pas nécessairement. Là aussi, l’Europe ne doit pas être spectatrice de la compétition Pékin-Washington, mais a vocation à affirmer son autonomie en refusant l’alignement et la soumission, en défendant les vertus de la multipolarité et d’un leadership assumé et partagé. La guerre froide n’est pas une réalité objective, mais une interprétation dans laquelle il ne faut pas tomber, au risque d’en être prisonnier.

 

Une tribune publiée par Ouest France.
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