ANALYSES

Les enjeux énergétiques demeurent géopolitiques

Presse
9 octobre 2021
Interview de Pierre Laboué - Corse Matin
Autour de quelles thématiques, va s’articuler votre conférence ?

Je vais d’abord parler de sécurité énergétique en termes de géopolitique. Chaque pays a un mix énergétique unique. Les territoires ne consomment pas les mêmes énergies dans les mêmes proportions : pétrole, gaz, charbon, énergies renouvelables, nucléaire. Leurs vulnérabilités à une crise énergétique sont donc différentes. En outre, chaque pays présente des dépendances énergétiques spécifiques. L’Union européenne, qui a peu de ressources énergétiques sur son sol, n’a pas les mêmes fournisseurs en énergie que la Chine ou les États-Unis, qui ont renforcé leur autonomie énergétique grâce à l’exploitation du pétrole et du gaz non conventionnels sur leur propre sol. La question de la matière est importante mais aussi celle des flux qu’il faut sécuriser. Les enjeux ne sont pas les mêmes pour le gaz que pour le pétrole. C’est dû au fait que le transport du gaz se fait historiquement par des gazoducs qui lient sur le long terme un client et un fournisseur.

Cela représente des enjeux financiers importants pour le pays qui exporte et pour celui qui est traversé par un gazoduc, tel I’Ukraine, car c’est une source de rémunération. II y a tout un débat autour du gazoduc Nord Stream 2 et des tensions géopolitiques au vu du risque de dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Russie. Les pays européens sont partagés entre le fait de s’approvisionner en gaz auprès des États-Unis par GNL ou de la Russie par gazoduc, la première option coûtant plus cher que la seconde.

Comment se positionnent les pays de l’UE qui faisaient partie du bloc de l’Est?

La crise du gaz entre l’Europe et la Russie en 2009 a marqué les esprits et les corps car elle était survenue en hiver. De plus, ces pays d’Europe de l’Est veulent rester plus proches des États-Unis au vu de la protection que ceux-ci permettent par le biais de l’Otan.

Par conséquent, ils étaient majoritairement opposés au gazoduc Nord Stream 2. Pour renforcer son indépendance énergétique face au gaz russe, la Pologne a fait le choix de continuer à utiliser le charbon, l’énergie qui émet le plus de gaz à effet de serre. L’Estonie, pour sa
part, a choisi de développer ses propres sources d’énergie, des hydrocarbures non conventionnels; les importations d’énergie, en provenance de Russie, ne représentaient que 4 % de sa consommation énergétique totale en 2019. Mais le dérèglement climatique constitue un élément de bascule. On va arrêter de produire du pétrole non pas parce qu’il n’y en a plus mais parce que l’on ne peut
pas se permettre d’émettre encore plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

C’est un changement de paradigme brutal. Plusieurs pays d’Europe de l’Est sont donc pris en tenaille entre les impératifs de décarbonation et leur stratégie d’indépendance vis-à-vis de la Russie.

Ce qui signifie qu’il est difficile pour l’Europe d’avoir une position commune ?

Les impératifs stratégiques en termes d’énergie varient d’un pays à l’autre. II y a néanmoins une politique européenne très ambitieuse en matière de neutralité carbone. Pour s’éloigner des carburants fossiles, l’UE impulse une nouvelle dynamique pour généraliser l’emploi d’énergies décarbonées. Les biocarburants avaient, un temps, été mis en avant mais leur bilan carbone n’étant pas bon, ils sont passés au second plan. De nouvelles pistes sont étudiées par l’UE pour essayer de trouver une alternative au pétrole, qui reste la solution reine pour la mobilité.

L’Union soutient le développement des véhicules électriques et la production de batteries électriques sur le sol européen. Cette transition énergétique sera aussi géopolitique que les énergies conventionnelles. La Chine contrôle ce marché d’avenir que sont les batteries. Toutefois, l’Europe, grâce à son activité dans le domaine de la recherche et du développement, est en train de rattraper son retard.

Une batterie représente 30 à 40% du coût d’un véhicule électrique, ce qui change le modèle économique. Qui maîtrise la batterie, maîtrise le véhicule électrique et donc une grande partie de l’industrie automobile de demain. Cependant, ces enjeux demeurent géopolitiques. Pour fabriquer une batterie, il faut des minerais, tels que du nickel, du cobalt, du lithium. Or il n’y en a pas chez nous mais en Afrique et en Amérique latine. Ce qui pose des questions existentielles comme le travail des enfants constaté dans certains pays ou l’impact sur l’environnement…

Les ONG jouent un rôle important car elles sont des lanceurs d’alerte comme au sujet des mines dans lesquelles travaillaient des enfants, cela a permis de changer les choses. Un indice boursier a, par ailleurs, été créé afin de ne pas avoir dans ce domaine l’équivalent des « blood diamonds ». En outre, les Chinois, qui ont un poids énorme car ils sont les premiers acheteurs de minerais, veulent de la traçabilité et donc contrôler ce qui se fait dans les mines. La Chine, par ailleurs, s’est positionnée très tôt sur les véhicules électriques non
pas pour des questions climatiques mais pour des questions de santé publique parce que ses villes étaient polluées par les gaz d’échappement ce qui cause plus de morts que le tabac. Mais aussi pour avoir la paix sociale car les problèmes d’environnement sont le premier facteur de contestation politique dans ce pays.

Y aura-t-il toujours, selon vous, en Europe, une forme de dépendance énergétique ?

Sauf si on produit nous-mêmes nos batteries, si on ouvre des mines comme la Finlande en ce qui concerne le lithium. Ensuite, produire des batteries c’est une chose, mais il faut qu’elles puissent être commercialisées à un prix compétitif. Cela suscite des questions économiques et environnementales et nous renvoie à nos propres contradictions en matière d’acceptabilité sociale. La vulnérabilité varie selon ce que l’on consomme comme énergie et selon qui contrôle ce que l’on consomme. II faut, dès lors, réfléchir également à un autre
concept qui est celui de la sobriété énergétique et qui est un outil stratégique. Réduire nos besoins en énergie nous rend plus libres en termes d’approvisionnement.

Cela repose aussi sur la technologie et les brevets. La distribution de l’énergie s’appuie sur des réseaux intelligents mais cela crée des failles. Des hackers peuvent pirater les réseaux, d’où la nécessité de les sécuriser.

Quel est le degré de vulnérabilité de la France ?

Notre pays dispose d’un atout qui fait polémique : le nucléaire. II a été pensé par la France pour assurer son indépendance énergétique vis-à-vis notamment de l’OPEP. Le nucléaire permet aujourd’hui de décarboner l’économie. Mais la catastrophe de Fukushima rappelle les risques qui existent. Une centrale permet, dans un endroit bien délimité, de produire une quantité d’énergie extrêmement importante. Pour produire la même quantité avec des énergies renouvelables comme l’éolien et le photovoltaïque, il faudrait couvrir une surface très importante et on basculerait alors de la géopolitique mondiale à la géopolitique locale : de nombreuses personnes ne veulent pas de champs d’éoliennes à côté de chez eux. Ce qui veut dire qu’au niveau national comme au niveau régional, on doit se mettre d’accord sur le mix énergétique à mettre en place c’est-à-dire sur notre avenir commun.

Qu’entendez-vous par géopolitique locale ?

Il peut y avoir aussi des oppositions locales au sujet de la réalisation par exemple d’un grand projet éolien. Certains groupes seront pour l’installation du projet sur un territoire donné, d’autres groupes seront contre. C’est là qu’intervient la politique à travers la concertation pour résoudre ce conflit et trouver un consensus.

 

Propos recueillis par Fabrice Laurent pour Corse Matin.
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