ANALYSES

En Chine, faut-il sauver le géant de l’immobilier Evergrande ?

Presse
22 septembre 2021
En quoi la faillite d’Evergrande représente une menace pour tout le secteur immobilier en Chine ?

C’est la taille d’Evergrande qui fait de lui un risque systémique auprès des autres promoteurs immobiliers. Ces derniers pourraient faire face au phénomène analogue, car ils ont eux aussi fait ce que l’on appelle dans le milieu, de la « Cavalerie ». Ils travaillent avec l’argent des particuliers qui ont spéculé sur des logements. À partir du moment où un groupe comme celui-ci est en faillite et qu’il ne peut plus rembourser les spéculateurs, il risque de s’effondrer tel un château de cartes et d’entraîner un grand nombre de promoteurs, comme ce fut le cas avec Lehman Brothers aux États-Unis.

Y-a-t-il un risque que Pékin laisse couler Evergrande, à la manière des États-Unis avec Lehman Brothers ? 

Il n’y a pas, à mon humble avis, de risque de crise de type Lehman Brothers. D’une part, parce que même les économistes occidentaux sont d’accord pour dire que les États-Unis n’auraient jamais dû laisser tomber Lehman Brothers. Ils avaient, à l’époque, les moyens financiers de régler le problème. Cela a été une erreur.

Par ailleurs, le gouvernement chinois dispose d’économistes extrêmement compétents, ayant pour la plupart étudié aux États-Unis. Ils ont bien évidemment analysé le cas Lehman Brothers et ils ne vont pas reproduire la même erreur. Pékin peut-il faire face à cela ? Oui. Le gouvernement chinois est d’ailleurs confronté à une faiblesse systémique de son secteur financier depuis de nombreuses années. Il a créé des « structures de défaisance », dans lesquelles on met les mauvaises dettes et que l’on recapitalise.

Un des deux problème majeurs pour les autorités chinoises, est de trouver, sur le plan économique, le point d’équilibre entre secourir Evergrande et tout le secteur immobilier en grande difficulté, et ce faisant risquer de ne pas pénaliser ceux qui ont été à l’origine de cette spéculation. C’est ce que l’on appelle le risque du « passager gratuit ». Si vous aidez trop quelqu’un de surendetté, vous ne sanctionnez pas les erreurs qui ont été commises. Actuellement, Pékin hésite entre secourir les petits épargnants tombés dans le piège de profits faciles et en même temps, trouver les moyens de mettre fin à ces comportements de spéculation qui gangrènent l’économie chinoise.

Y-a-t-il une raison politique qui pousserait le gouvernement chinois à agir pour Evergrande ?

Oui, c’est là que réside le deuxième problème majeur du président Xi Jinping. Il ne faut pas croire que le parti communiste chinois n’a pas peur de la population. C’est tout le contraire. Des risques d’explosion sociale menacent le parti. Il est évident qu’à la différence des États-Unis, ce facteur renforce le besoin et la nécessité d’intervenir impérativement.

En Chine, il y a une méfiance vis-à-vis du parti. On se demande parfois d’ailleurs qui surveille qui. Est-ce le parti qui surveille la population ou est-ce la population qui le surveille ? En Chine, le parti n’est pas, de facto, légitime pour la population, sauf si la situation économique est bonne. Dès lors qu’il y a des abus, de la corruption, une situation économique qui se détériore, il y a des risques d’explosions sociales en Chine. Nous le voyons régulièrement à l’échelle locale.

Pékin a-t-il quelque chose à retirer de la gestion de la crise Evergrande en terme d’image ?

Xi Jinping, depuis quelques années, a bien senti que la légitimité du parti et sa réputation, étaient ternies par ce qui avait été la politique du « laissez-faire, enrichissez vous », liée à l’ouverture et à la libéralisation de Deng Xiaoping (ndlr : numéro un de la république populaire de Chine de décembre 1978 à 1992. Deng Xiaoping est considéré comme étant à l’origine du développement économique de la Chine actuelle et de son ouverture).

Cette politique a créé des inégalités très fortes, des réseaux mafieux et une forte corruption. Depuis 2013, on a bien senti qu’il y avait un changement d’orientation, avec la lutte contre la corruption et les inégalités. Depuis peu, cette lutte est devenue un leitmotiv officiel. La façon de gérer cette crise ne va pas seulement répondre à un risque économique, financier. Elle va également montrer à la population chinoise que désormais, les milliardaires qui se comportent mal, gèrent mal leurs affaires ou s’enrichissent trop facilement, c’est fini. C’est un deuxième aspect très important à prendre en compte.

Selon l’économiste Jean-Louis Rocca, Pékin « tient déjà à bout de bras » Evergrande. Sa situation est-elle critique depuis longtemps ?

Tout d’abord, il ne s’agit pas juste d’Evergrande, mais de tout le secteur immobilier qui met la Chine en difficulté depuis maintenant une dizaine d’années. Mais on ne peut pas penser qu’en Chine, un groupe de cette importance ne soit pas, depuis le début, entremêlé avec les réseaux du parti. Sur le plan financier, difficile de croire qu’il n’ait pas eu en permanence et de facto, le soutien des grandes banques chinoises et même de la Banque centrale. Lorsque les premiers indices très sérieux de faillite se sont manifestés, vers 2020, en pleine épidémie, Pékin a durci les conditions d’accès au crédit, notamment dans l’immobilier. Un geste qui a entraîné des baisses de prix. L’effet était recherché depuis plusieurs années déjà.

Cette fois-ci, l’épidémie et la baisse d’activité dans les grands centre commerciaux aidant, l’inflexion des prix de l’immobilier a été clairement observée. Ce qui n’a pas été maîtrisé par le parti, c’est que cette baisse des prix allait, de façon cumulative, provoquer une chute du prix des actions d’Evergrande et des groupes immobiliers les plus fragiles. Elles ont été divisées par quatre. Des millions de Chinois sont concernés. Cela créé ce fameux risque systémique que l’on observe, puisque des sommes faramineuses sont en jeu, de plusieurs centaines de milliards de dollars.

Evergrande connaît une gestion de crise désespérée face à la menace du dépôt de bilan. Le groupe aurait par exemple poussé des employés à vendre et à acheter pour eux-mêmes des placements attractifs mais très risqués. Peut-on pour autant comparer la situation à celle de Lehman Brothers ? 

Nous ne sommes pas dans le cas de figure de Lehman Brothers. Lehman Brothers était une opération frauduleuse classique, que l’on appelle une « pyramide de Ponzi» (ndlr: la Pyramide de Ponzi est un montage financier frauduleux consistant à rémunérer les investissements des clients avec les fonds procurés par les nouveaux entrants).

À la différence d’Evergrande, il n’y avait pas assez d’actifs réels en contrepartie de l’argent versé par les créanciers. Evergrande a, lui, investi dans des logements, puis après dans des centres commerciaux. Comme il investissait chaque année, beaucoup plus qu’il n’avait, il s’est endetté, auprès des banques, d’une part, mais aussi de plus en plus auprès des particuliers. Ces derniers, voyant que le rendement des logements augmentait chaque année de 15% à 25%, ont investi dans l’immobilier, pas pour eux, mais de manière spéculative.

Malgré tout, l’empire immobilier d’Evergrande existe en grande partie. Cela fait une différence non négligeable par rapport à Lehman Brothers.

Comment Evergrande peut-il sortir de cette crise ?

Grâce à la nationalisation. Mais l’État chinois ne le fera pas à un prix trop élevé et sans réfléchir à des formes qui évitent de retomber dans une économie d’État.
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