ANALYSES

Le difficile combat de Joe Biden contre les divisions de l’Amérique

Presse
8 août 2021
Joe Biden y a travaillé pendant des mois. Il a finalement obtenu un compromis avec une dizaine de républicains au Sénat sur la première partie d’un projet de loi pour la rénovation des infrastructures de 1 200 milliards de dollars, dont 550 de dépenses fédérales nouvelles. Cette partie concerne les ponts, routes, ports, canalisations, Internet à haut débit, etc. Par ce compromis, la Maison Blanche vise à combattre l’obstruction systématique au Sénat – les républicains disposant d’une minorité de blocage – grâce à un vote bipartisan qu’elle espère imminent.

Le reste du projet devrait fusionner avec celui, plus axé sur le social, intitulé « American Families » dans le cadre d’un texte de loi de 3 500 milliards de dollars, mais celui-ci suivra la procédure dite de « réconciliation », ce qui signifie qu’une majorité simple suffit pour la voter au Sénat. L’adoption de ces deux textes serait une étape supplémentaire de l’immense plan de relance de Biden dont le premier volet, de 1 900 milliards de dollars, a été adopté en mars, sans les républicains. Au total, l’objectif de départ s’élève à plus de 6 000 milliards de dépenses et d’investissements, répartis sur plusieurs années et en trois grandes lois aux allures de New Deal et de Great Society.

L’ambition bipartisane de Biden exige des concessions importantes à droite et au centre et fait déjà grincer des dents à gauche. Elle est centrale dans la stratégie du président pour tenter de réconcilier l’Amérique avec elle-même sur des grands projets de société, après des années de divisions amplifiées par son prédécesseur. Biden n’a cessé de le répéter pendant sa campagne et lors de sa première conférence de presse en tant que président, 25 mars.

Après le Plan de relance, il devra s’atteler à une grande réforme de la législation sur l’immigration, à l’extension de l’Affordable Care Act (l’Obamacare) ou encore à la régulation du port d’armes et au combat contre le racisme institutionnel, sujets sur lesquels il est très attendu par les mouvements militants et l’aile gauche du parti. Mais il dispose d’un temps politique d’autant plus court que les élections de mi-mandat, en novembre 2022, risquent de lui faire perdre sa courte majorité au Congrès. Pour l’heure, le président mise sur son expérience passée de négociateur en chef quand il était sénateur et met les républicains au pied du mur. Il est encouragé par le fait que ses réformes bénéficient jusqu’ici d’une relative popularité dans l’électorat de droite, pour sa gestion de la pandémie.

Résister aux assauts des républicains

« America is back ». La formule, martelée par le président en quasi-slogan publicitaire, a par ailleurs vocation à rappeler au peuple américain et au monde entier qu’il a l’intention de faire des États-Unis une démocratie exemplaire et de rétablir l’influence et la confiance perdues à l’international pendant les années Trump.

De fait, la démocratie américaine est malmenée et il faut bien dire qu’une partie du camp républicain y travaille ardemment, à coup de déclarations complotistes et de limitation du droit de vote.

D’une part, le mythe de l’« élection volée » de novembre 2020, créé et entretenu par Donald Trump et ses soutiens, perdure (et rapporte beaucoup d’argent). Une majorité d’électeurs et d’électrices républicain·e·s demeure convaincue que les démocrates ont fraudé en masse. Du côté des élu·e·s du Grand Old Party, c’est encore pire : seul·e·s six sénatrices et sénateurs sur 50 (et 35 représentant·e·s sur 212) ont voté en faveur de la création d’une commission indépendante pour enquêter sur la tentative d’insurrection au Capitole, le 6 janvier 2021. L’institut Morning Consult a réalisé une enquête mettant en évidence qu’en juin dernier, 29 % de l’électorat républicain pensait que Trump, qui fait lui-même courir ce bruit, va revenir à la Maison Blanche avant la fin de l’année 2021.

D’autre part, dans la plupart des États fédérés, les républicains s’efforcent de changer les règles des futures élections. Une tentation partagée par de nombreux partis de droite radicale dans divers pays démocratiques, au Brésil comme en Europe, comme le montre la journaliste Anne Applebaum dans son dernier livre, Démocraties en déclin. Des lois locales (limitation, voire interdiction du vote anticipé ou par correspondance, suppression d’électrices et d’électeurs des listes, etc.) visent à restreindre l’accès aux urnes de celles et ceux qui ne votent pas pour le Grand Old Party.

Les Noir·e·s, les plus démuni·e·s et les jeunes sont particulièrement visé·e·s. Mais ce n’est pas tout. Il s’agit également, dans les États conservateurs, de donner davantage de pouvoir aux autorités élues pour gérer les désaccords sur le résultat des urnes, autrement dit de remettre en question ce dernier. Donald Trump en a rêvé en novembre (et a fait pression sur certains États, on se souvient de la Géorgie) : les républicains tentent de le voter aujourd’hui.

Biden, de son côté, s’efforce de faire passer deux lois fédérales pour protéger le droit de vote. Là aussi, des tractations, difficiles, sont en cours au Congrès et là aussi, l’aile gauche du parti démocrate exige d’aller vite et de frapper fort.

Le masque et le vaccin continuent de diviser la classe politique

Le port du masque et la vaccination constituent encore d’importants marqueurs de clivage politique aux États-Unis. Le rejet d’un supposé « nanny state » (« État nounou ») et la préservation de la sacro-sainte liberté individuelle guident de nombreux et nombreuses parlementaires de droite à critiquer ces dispositions.

Depuis quelques derniers jours, la règle est de porter un masque à l’intérieur du Capitole. La Speaker de la Chambre, Nancy Pelosi, a traité d’« imbécile » le chef de la minorité républicaine, Kevin McCarthy, qui estimait que cette mesure ne reposait sur aucun fondement scientifique. Un autre sujet de discorde, plus clivant cependant au sein de la classe politique que dans population, est apparu à la suite des nouvelles mesures instaurées par le président Biden ciblant les quatre millions de fonctionnaires fédéraux : ils et elles devront soit se faire vacciner, soit se faire tester chaque semaine, et porter un masque en continu pendant leur service.

Les gouverneurs, républicains, du Nebraska, de l’Iowa et de Floride ont affirmé qu’ils ne respecteraient pas les nouvelles recommandations des autorités de santé sur le port du masque dans l’espace public, l’amplification de la vaccination et les pass sanitaires. Selon la National Academy for State Health Policy, ce sont plus de 150 projets de loi qui ont été déposés au niveau local pour interdire toute « discrimination » fondée sur le statut vaccinal. Cinq États fédérés conservateurs ont pour leur part interdit aux entreprises d’exiger de leur personnel d’être vacciné. Et ce ne sont que quelques exemples.

Gouverner l’Amérique plurielle

Certaines et certains soufflent donc sur les braises, et la Covid-19 est aussi une occasion de renforcer le pouvoir des États fédérés face à Washington dans une « guerre culturelle » qui ne cesse de se renouveler à coups de polémiques.

Présente avant Trump, attisée par lui pendant ses quatre années au pouvoir, et entretenue par ses soutiens (et lui-même) depuis son départ de la Maison Blanche, l’obsession surannée d’une Amérique blanche et patriarcale se porte par ailleurs très bien. Des mesures interdisant aux fillettes transgenres de participer à des compétitions sportives à l’offensive, via des fake news, contre la Critical Race Theory, un champ de recherche universitaire et d’enseignement portant sur le racisme structurel – son histoire, ses mécanismes, ses représentations, ses effets, etc. –, la droite trumpiste poursuite son offensive. Or, faut-il le rappeler, la société américaine n’est ni gender blind, ni color blind : discriminations et inégalités de genre et liées à l’origine perdurent, voire se sont renforcées avec la pandémie (accès à la santé, perte d’emploi, perte du logement, pauvreté, etc.).

Un point qui n’a pas échappé à la Maison Blanche, dont le choix est de cibler les populations les plus vulnérables dans le cadre de politiques universelles, notamment le plan de relance. Un exemple éclairant est la mise en place d’allocations familiales exceptionnelles qui favoriseront les mères célibataires les plus pauvres mais qui, au final, concerneront plus de 90 % des enfants. Un autre est la création, au sein du ministère de la Santé, d’une « Health equity task force », afin que les critères de vulnérabilité (pauvreté, origine, sexe, handicap, territoire de vie, etc.), qui s’entremêlent, soient particulièrement pris en compte dans la réponse à la Covid-19, à court terme, et aux inégalités sanitaires, sur un plan structurel.

Le président propose depuis son arrivée au pouvoir un agenda plus ambitieux que prévu, et porté par une vision optimiste de la société américaine, « unie dans ses différences ». Et pour mener à bien ses réformes, Biden a choisi un gouvernement féminisé et multiculturel. C’est une question non seulement de représentativité, mais aussi, et inséparablement, de compétences. L’anti-trumpisme au pouvoir.

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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