ANALYSES

Communisme revisité : ces nouveaux penseurs dont s’inspire Xi Jinping pour diriger la Chine d’une main de fer

Presse
21 juillet 2021

Quelles sont les influences philosophiques dont semble s’inspirer Xi Jinping, notamment dans sa gestion de la crise de Honk Kong ?


Les influences du régime chinois depuis quelques années, et notamment après l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, semblent converger vers la reconnaissance des multiples facettes de la pensée chinoise. On pense aux travaux influents de Yan Xuetong sur le neoconfucianisme, ou encore au Tianxia 2.0 de Zhao Tingyang, entre autres. Ces penseurs brillants et reconnus ont en commun de mobiliser les fondements de la civilisation intellectuelle chinoise pour inscrire le régime dans la continuité de cette histoire pluri-millénaire et, à l’heure où la Chine revient au centre du monde après un siècle-et-demi de mise à l’écart (qualifiés à tort ou à raison « d’humiliations »), de légitimer le pouvoir. C’est une véritable rupture avec la révolution culturelle et le maoïsme, qui privilégiaient la mise au pilori des anciennes pensées et avaient pour ambition de créer une société nouvelle et « pure ». Cette ligne idéologique très prononcée, et qui mena la Chine au désastre, a donc laissé place à une approche pragmatique et inclusive de tout ce qui a fait la Chine, y-compris le nationalisme du Kuomintang. C’est pour cette raison qu’il est erroné de considérer que le régime actuel est profondément marqué idéologiquement, sa force étant précisément de ne pas être prisonnier d’une doctrine trop rigide.

Il est en revanche indiscutable, et les événements de Hong Kong le confirment, que l’affirmation de puissance chinoise s’accompagne d’une certaine manière de penser les institutions chinoises. Et sur ce point, l’obsession de la stabilité et de la légitimité (inspirée du mandat céleste de la Chine impériale) est au cœur des préoccupations des dirigeants actuels, avec en conséquence une très grande méfiance pour les mouvements démocratiques, qualifiés de déstabilisants, voire chaotiques, et la justification d’un régime fort, au nom de l’ordre et de la stabilité. On trouve ainsi des influences diverses, chinoises mais aussi étrangères, y-compris chez des théoriciens très marqués comme le nazi Carl Schmitt, qui mettait en avant les « vertus » d’un système étatique fort face aux risques de chaos des démocraties. En clair, les influences politiques de a Chine contemporaine ne sont pas libérales, le libéralisme politique étant même suspecté d’être instrumentalisé par des puissances étrangères.

Concernant le sort de Hong Kong, ces influences diverses expliquent le durcissement des mesures chinoises, tout autant que la mise en avant d’un « complot » étranger, pour ne pas dire occidental, qui ferait de Hong Kong une épine dans le pied de Pékin. Cette approche converge avec l’idée selon laquelle, pour les dirigeants chinois, Hong Kong appartient à la Chine depuis 1997, et que Pékin a donc toute autorité pour faire évoluer le système politique selon son bon vouloir. Il est à ce titre important de rappeler que toute critique de la répression à Hong Kong est qualifiée par Pékin d’ingérence dans ses affaires intérieures.

Ces influences sont-elles surprenantes ?


Non, pour plusieurs raisons. D’abord parce que derrière le vernis des discours convenus, la Chine n’est plus communiste (dans sa version maoïste, et même marxiste-leniniste) depuis quarante ans. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est libérale (pourquoi le binarisme hérité de la Guerre froide doit-il nécessairement opposer les deux, sans alternative?). Les dirigeants chinois continuent d’honorer Mao Zedong dans le seul but de maintenir la stabilité du régime et d’éviter le sort de l’URSS, mais à continuer de croire que la Chine est communiste, les puissances occidentales s’enfoncent dans une voie sans issue. La Chine est autoritaire et ne s’en cache pas. Elle n’hésite plus d’ailleurs à comparer les vertus de son autoritarisme (stabilité et ordre, toujours) aux vices de la démocratie qu’elle juge incapable de répondre aux attentes des populations. Il y a lieu de s’en inquiéter, mais c’est en tout cas le vrai défi chinois, le communisme étant réservé à ceux qui restent englués dans une logique de guerre froide d’un autre âge.

Ensuite, tout connaisseur de l’histoire de la Chine comprend l’obsession de la stabilité, compte-tenu des innombrables révoltes que ce pays a connues. Dès lors, une pensée politique ne peut être influente auprès des dirigeants chinois que si elle met en avant la stabilité, et donc prône un régime fort.

Enfin, le mandat de Xi Jinping coïncide avec une affirmation de puissance (la Chine est devenue deuxième puissance économique mondiale en 2010, soit peu avant l’arrivée au pouvoir de Xi) et, dans le même temps, une faillite des Etats-Unis sûr la scène internationale. Contrairement à ses deux prédécesseurs, Xi a des ambitions qu’il ne cache pas, avec une feuille de route dont l’objectif est le statut de première puissance mondiale (pas uniquement économique) en 2049. Dans ce contexte, une pensée à la fois nationaliste et mettant en avant la récupération des territoires perdus bénéficie d’une grande influence.

Au regard de ces influences philosophiques, que peut-on deviner des intentions politiques du président chinois pour l’avenir ?


Il faut bien avoir en tête, et c’est trop rarement le cas quand on cherche à comprendre la Chine, que cohabitent plusieurs courants de pensée, et que leurs influences sont plus ou moins importantes selon les équipes au pouvoir et le contexte politique (et géopolitique). Dès lors, et compte-tenu des conséquences de la crise sanitaire, tant économiques et sociales que politiques voire identitaires et sécuritaires, les intellectuels les plus influents pourraient être concurrencés par d’autres courants de pensée. Il n’y a pas d’idéologie figée au sommet du pouvoir en Chine, tout dépendra surtout des succès ou des échecs du pouvoir actuel.

Concernant Xi Jinping, il est indéniable que le président chinois est plus « fort » que ses prédécesseurs et qu’il rassemble de nombreux pouvoirs. Mais il peut aussi être contesté selon ses résultats. Ses ambitions de recomposer l’espace chinois sont sans doute les plus inquiétantes, notamment en ce qui concerne Taïwan. Hong Kong pourrait n’être  qu’une étape, sorte de test pour mesurer les réactions aux ambitions de la Chine.
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