ANALYSES

À Cuba, sur quoi peut déboucher le plus grand soulèvement populaire depuis 1994 ?

Presse
15 juillet 2021
Qu’est-ce qui a déclenché les mouvements inédits de protestation de dimanche à Cuba ?

C’est un mouvement qu’on voyait venir depuis un certain temps, aux multiples raisons. Cuba vit une situation économique et sociale très difficile, liée à l’embargo américain et à son durcissement sous l’ère Trump. Dès qu’il y a une crise comme celle que nous connaissons aujourd’hui, la vie quotidienne des Cubains, déjà précaire, se détériore. Ils passent des heures chaque jour pour chercher de la viande, font face à la pénurie d’aliments, de médicaments, et sont soumis à des coupures d’électricité récurrentes. Ce qui est inédit, ce n’est pas tellement qu’il y ait des manifestations, c’est le fait qu’elles aient lieu dans tout le pays, et pas simplement à La Havane. Cela montre que la patience et la résignation des Cubains sont en train de céder. Le gouvernement cubain mène depuis dix ans des réformes sans grands résultats pour la population.

Ce mouvement, d’une ampleur inédite, peut-il inquiéter le gouvernement cubain ?

Le problème c’est que le gouvernement cubain n’est pas en situation de pouvoir répondre aux demandes sociales. Le risque c’est que la crise s’amplifie, et qu’il y ait la tentation de l’autoritarisme. Mais ça ne suffira pas à calmer un mouvement dont les racines sont multiples et lointaines. D’autre part, personne n’a intérêt aujourd’hui à ce qu’il y ait une crise politique ou un renversement du gouvernement cubain. Des masses de migrants partiraient, notamment aux États-Unis. Ceci explique aussi les commentaires relativement prudents de Washington sur la situation.

Comment se fait-il que ces mouvements spontanés aient émergé à plusieurs endroits simultanément ? Les réseaux sociaux ont-ils joué un rôle ?

Cuba est un pays très connecté, c’est un des paradoxes dans un pays à parti unique et autoritaire. Il y a un accès très large des jeunes aux réseaux sociaux, et c’est là que se jouent les mobilisations. L’opposition cubaine de Miami et les opposants à Cuba s’y rejoignent. Le gouvernement cubain a une approche très défensive sur les réseaux sociaux, en considérant que le pays est en permanence noyauté, infiltré par les États-Unis. Les autorités accusent la « mafia cubano-américaine », d’être à l’origine du soulèvement. Mais si l’accès à Internet continue d’être coupé, comme on l’a vu dimanche, les autorités risquent de perdre la bataille. Personne n’acceptera ça.

Si les mouvements de protestation continuent, la répression risque-t-elle de se faire plus violente ?

Je ne crois pas, parce que le gouvernement cubain sait parfaitement qu’il se trouve sous haute surveillance, et que les États-Unis chercheront en permanence à le discréditer. Contrairement à l’opinion qu’on en a, Cuba n’est pas un pays fermé, qui prétendrait à l’autarcie. C’est un pays très attentif à l’image qu’il renvoie, qui mise tout son avenir sur son ouverture au monde. Le gouvernement cherche à accueillir dans l’île des capitaux étrangers, des touristes…

Peut-on espérer un allègement des sanctions et de l’embargo avec la nouvelle administration américaine ?

Le gouvernement cubain accuse l’embargo américain d’être la source de tous ses problèmes. À Washington la discussion fait rage, parce qu’on sait que Biden a promis, pendant sa campagne, de revenir à la philosophie d’Obama, qui visait à normaliser les relations avec Cuba et à rétablir les relations diplomatiques. Mais malgré ses promesses, rien n’a été fait. C’est le statu quo. Pour l’instant, il est clair que la situation à Cuba dépend, en grande partie, de cette question de l’embargo. Mais le président américain n’a pas le pouvoir de l’annuler. C’est le Congrès qui décide. Joe Biden peut simplement l’assouplir.

Comment peut évoluer ce mouvement ?

Le vrai risque du mouvement auquel on assiste, c’est que s’il aboutissait à l’effondrement du système politique, ce serait un problème pour tous les pays de la région. Il n’y a pas de système de substitution. On entrerait dans un chaos. La pression migratoire serait trop forte et des centaines de milliers de personnes, peut-être plus, partiraient vers les États-Unis.

 

Propos recueillis par Eva Massy pour Ouest France.
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