ANALYSES

Les États-Unis donnent 500 millions de vaccins : « une générosité calculée »

Presse
10 juin 2021
Interview de Anne Sénéquier - Marianne

Ce don de 500 millions de vaccins par les États-Unis, est-ce une bonne nouvelle ?


Bien évidemment. L’écart de vaccination entre les pays occidentaux et les pays à bas revenus se creuse. Il manque encore beaucoup de doses pour vacciner les personnes fragiles dans ces pays, alors que c’est un véritable enjeu de santé publique internationale. D’autant que c’est un don doublement gagnant, à la fois pour ceux qui reçoivent les doses, mais aussi pour ceux qui les donnent. Pourquoi ? Parce que le nationalisme vaccinal n’est pas une solution pérenne pour lutter contre l’épidémie. Si on veut limiter l’émergence de nouveaux variants et des regains épidémiques, il est essentiel de vacciner par-delà les frontières.


Mais tout de même, c’est une conversion un peu tardive car pendant des mois les États-Unis n’ont pas lâché de doses. Même avec AstraZeneca, qui n’était pas homologué, ils ont tenu à les garder dans leurs frigos…


Les États-Unis acceptent et décident d’apporter leur aide aux plus faibles à un moment où la courbe des contaminations chute drastiquement. Même si l’ère Donald Trump est passée, on voit bien que la stratégie de l’America first est toujours bien marquée. Ils partagent aujourd’hui leurs vaccins parce que plus de la moitié de leur population est vaccinée. D’autant qu’il y a un intérêt sanitaire également puisque vacciner à plus grande échelle permet de limiter le regain épidémique.


N’y a-t-il pas un intérêt géopolitique aussi ?


Leur stratégie semble consister à reprendre le lead à l’international, car l’impression de perte de leadership est très prégnante, et Donald Trump en ayant tourné le dos à l’OMS un temps n’a pas arrangé les choses. Pendant que les États-Unis étaient au chevet de la population face à une vague de contamination importante, des pays comme la Chine, l’Inde, la Russie ou encore Cuba en ont profité pour dessiner de nouvelles relations avec des pays en développement ou bien affirmer leur amitié. Ces nouvelles alliances vont esquisser les liens géopolitiques de la décennie à venir.


Mais ces pays ne seront pas dupes très longtemps. Ils se rendent bien compte que certaines difficultés qu’ils ont pu rencontrer pour accéder au vaccin sont le fait de cooptations de doses par les pays occidentaux. Ils comprennent aussi que les Occidentaux leur envoient les doses d’AstraZeneca dont plus personne ne veut à cause de potentiels cas de thromboses. En tout cas, il est certain que ce n’est pas juste une histoire de vaccin. Tout est interconnecté. Tout le monde essaie de tisser sa nouvelle sphère d’influence.


Mais d’un point de vue sanitaire, n’est-ce pas trop tard ?


Non, ce n’est jamais trop tard. Le fait est que devant les vagues épidémiques conséquentes et meurtrières, l’Inde a par exemple arrêté sa production de vaccins à destination de pays en développement… C’est normal, tous les gouvernements l’ont fait, les États-Unis comme les autres. Ils ont d’abord priorisé la sécurité nationale avant de débloquer des moyens pour les autres. Ils se sont laissés influencer par l’affect et l’acceptabilité des populations. Si cette stratégie paraît à première vue logique, c’est loin d’être la plus pertinente, car à côté de cela, on laisse diffuser le virus dans d’autres pays. Cela risque de recréer des chaînes de transmission voire des variants potentiellement résistants aux vaccins qui vont in fine revenir chez nous comme un boomerang.


Par ailleurs, Joe Biden annonce des dons, mais dans le même temps, les USA ne desserrent pas l’étau sur l’exportation des composants et du matériel industriel nécessaires à la production de vaccin…


Oui, pour l’instant cette annonce relève de la communication. Lorsque les USA ont bloqué les doses du sérum AstraZeneca, c’était pour pouvoir se retourner en cas de vague épidémique. L’intérêt de conserver une réserve fédérale est de pouvoir garder le contrôle s’il faut monter en puissance à nouveau. On reste dans l’America first. Ils donnent le surplus du surplus, mais il ne faut pas qu’ils risquent d’être en position de dépendance des autres si une nouvelle crise survenait. Leur générosité est calculée de façon qu’elle ne mette pas en péril leur propre sécurité, telle qu’ils la conçoivent.


À long terme, quel est le risque de cette rétention des matières premières par les États-Unis ?


Faire une obstruction sur le matériel rend problématique la fabrication. D’une part, les USA annoncent lever les brevets sur les vaccins et déclarent faire des dons. Mais d’autre part, ils ne permettent pas une fluidité de l’exportation de certaines matières premières, notamment à travers l’invocation du « Defense Production Act », qui leur permet de faire passer les commandes locales en priorité. Il y a un vrai risque de ralentissement de la production mondiale.


 

Propos recueillis par Célia Cuordifede pour Marianne.
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