ANALYSES

Les prémices d’une sortie de crise pour le Venezuela ?

Interview
25 mai 2021
Le point de vue de Christophe Ventura


Insondable crise économique et politique, sanctions des États-Unis, Covid-19 : le Venezuela fait face à une situation sans précédent. Mais pour la première fois depuis 2019, l’hypothèse d’une sortie de crise via une éventuelle reprise d’une négociation politique entre le président contesté Nicolas Maduro et Juan Guaido, président par intérim autoproclamé, refait surface. Les annonces des derniers jours peuvent-elles amorcer la fin de huit années de difficultés ? Quid du changement de présidence américaine sur ce dossier ? Le point avec Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Amérique latine/Caraïbes.

Le 11 mai, Juan Guaido a proposé d’ouvrir de nouvelles négociations avec Nicolas Maduro, concernant l’organisation d’un « calendrier pour des élections libres ». Le président vénézuélien a accepté de discuter, sous l’égide d’une médiation internationale. Que peut-on attendre de ce nouvel échange entre les deux hommes pour l’avenir du Venezuela ?

Ce mouvement engagé par Juan Guaido en faveur d’un « accord de sauvetage national » qui devrait, selon lui, être négocié avec l’appui de la « communauté internationale et en particulier des puissances internationales » pour intégrer des élections nationales dont la présidentielle, une aide humanitaire et vaccinale, la libération des « prisonniers politiques », des garanties démocratiques pour tous les acteurs politiques de la crise et une levée progressive des sanctions contre le pays, conditionnée à ses objectifs, ouvre des perspectives limitées, mais réelles. À cette étape, aucune négociation n’est à l’ordre du jour concrètement, mais les annonces de Juan Guaido s’inscrivent dans une nouvelle séquence, notamment ouverte avec l’élection de Joe Biden aux États-Unis. Tout d’abord, il faut souligner à quel point le nouveau discours de Juan Guaido correspond à un changement stratégique majeur de sa part face à l’impasse dans laquelle il s’était mis en 2020 après son refus de participer aux élections législatives (6 décembre) pour lesquelles il avait appelé au boycott. En effet, ce choix l’a conduit à perdre toute base institutionnelle au sein de l’État vénézuélien alors que la coalition des droites, qu’il dirigeait depuis 2019 au sein de l’Assemblée nationale, dominait le pouvoir législatif depuis 2015. Cette stratégie a non seulement permis au bloc chaviste de reprendre cette assemblée avec une écrasante majorité (256 sièges sur 277), mais elle a également singulièrement divisé l’opposition dans son ensemble, dont une partie lui a désobéi et a participé. Des dirigeants historiques de cette opposition d’oppositions, tel Henrique Capriles – favorable à accepter la voie électorale contre le chavisme -, ont critiqué cette stratégie la considérant stérile, incapacitante et démobilisatrice. Il a pris ses distances avec Juan Guaido. En conclusion, ce dernier s’est affaibli et a perdu une grande partie de sa popularité (à peine plus de 10 % dans les enquêtes d’opinion locales) et de son leadership sur les oppositions vénézuéliennes. Au-delà, c’est toute l’opposition vénézuélienne qui s’est affaiblie et divisée, et qui s’est décrédibilisée auprès d’une population lassée, préoccupée par l’urgence de ses problèmes quotidiens non résolus, et dont une partie a fait le choix de la migration. C’est donc dos au mur que Juan Guaido vient faire sa proposition aujourd’hui. Et avec une capacité de mobilisation des Vénézuéliens(ne)s qui s’est considérablement réduite depuis son émergence politique en janvier 2019. Et entre temps, son nom a été de surcroît associé à plusieurs échecs : entrée de convois humanitaires depuis la Colombie en février 2019, promesse de désolidariser les militaires vénézuéliens de Nicolas Maduro et de faire tomber ce dernier, évocation de la possibilité – impopulaire – d’une intervention extérieure pour renverser le gouvernement, opérations de « barbouzerie » en 2020, etc. Et tout ceci sous l’ombre tutélaire de Donald Trump. En faisant le constat de son impasse, Juan Guaido a opéré un changement copernicien, acceptant désormais de discuter avec Nicolas Maduro, qui reste selon lui le chef d’une « dictature ». Il le reconnaît désormais néanmoins comme un interlocuteur et affirme vouloir négocier avec le chavisme, ce qui n’avait pas été le cas depuis qu’il s’était autoproclamé président par intérim. Juan Guaido tente aujourd’hui de restaurer son image et une partie de son leadership au sein de la droite avec cette proposition.

Le peut-il encore et qu’attendre de sa proposition ? Il faut être prudent. Il est difficile de savoir le poids qu’a encore la parole de Juan Guaido dans le pays. Son atout reste surtout son soutien étranger, dans plusieurs pays latino-américains et à Washington en premier lieu. L’administration de Joe Biden le considère toujours officiellement comme le président par intérim, à la différence de l’Union européenne qui lui a retiré son soutien en la matière pour le considérer désormais comme un « interlocuteur privilégié ». De ce point de vue, Juan Guaido, même affaibli, reste un élément de l’équation vénézuélienne. En effet, le fait qu’il reste soutenu par Washington invite Nicolas Maduro à prendre en compte son évolution et à tendre l’oreille à sa proposition. Et ce, d’autant que la situation du pays est une impasse. La magnitude de la crise économique, alimentée par les mesures unilatérales restrictives de Washington qui étouffent financièrement et commercialement le pays, n’est pas soutenable à long terme. Et ce d’autant plus dans le contexte de rebond pandémique dont on voit qu’il peut déboucher rapidement en Amérique latine sur de fortes convulsions sociales et politiques. Sur le plan politique, Nicolas Maduro s’est renforcé depuis 2020 et peut tout à fait diriger le pays comme cela longtemps, mais au prix d’une détérioration économique sans fin et sans solution viable si ne s’amorce pas un mouvement politique d’ensemble.

Ce qui se passe aujourd’hui au Venezuela indique peut-être que, dans l’esprit des protagonistes de la crise vénézuélienne, le constat que le blocage actuel est un enlisement dont personne ne sort plus gagnant, reprend du terrain. En règle générale, les acteurs d’une crise ou d’un conflit décident de négocier lorsqu’ils considèrent qu’ils sont arrivés à un point où ils ont moins à gagner avec le statu quo et la confrontation qu’avec la négociation.

La « communauté internationale » a un poids considérable dans les affaires politiques actuelles du pays, notamment les États-Unis qui ont imposé des sanctions économiques au Venezuela dans le but d’évincer Nicolas Maduro du pouvoir. L’arrivée de Joe Biden au pouvoir peut-elle faire évoluer la situation ?

La levée, partielle puis totale, des mesures restrictives unilatérales imposées par Washington contre le Venezuela est l’objectif prioritaire souhaité par Nicolas Maduro. Ces dernières rendent impossible toute reprise économique et relance du pays. La fin du mandat de Donald Trump constitue un réel tournant, celui de la fin d’une stratégie offensive d’ingérence directe et continue de Washington contre Caracas. Et ouvre un nouveau moment. Celui où Caracas et Washington peuvent s’envoyer de nouveaux signaux pour se tester et définir, peut-être, de nouvelles modalités à leurs relations, limitées néanmoins au cadre général suivant : Washington ne reconnaît pas la légitimité de Nicolas Maduro, Caracas réaffirme sa souveraineté et la continuité du mandat présidentiel de Nicolas Maduro qui court jusqu’en 2024. Mais entre les deux, des choses peuvent bouger, des aménagements peuvent apparaître.  À Juan Guaido l’expression de nouvelles dispositions, à Nicolas Maduro l’envoi de plusieurs signaux à Washington (non fin de recevoir à Juan Guaido, réforme du Conseil national électoral vénézuélien en vue des élections régionales et municipales du 21 novembre 2021, ouverture du pays à l’aide humanitaire des Nations unies, assouplissement de peines judiciaires contre plusieurs personnes), à Washington le soutien à un Juan Guaido « amendé », des actions orientées vers le champ « humanitaire » (octroi d’un « statut de protection temporaire » pour les Vénézuéliens vivant sur le territoire étatsunien le demandant) plutôt que directement intrusives au Venezuela, des messages diplomatiques discrets pour indiquer une non-opposition à une solution politique et une médiation internationale.

Est-ce que cela veut dire que Joe Biden va véritablement modifier la politique américaine au Venezuela ? Il est trop tôt pour le dire. Les États-Unis veulent certainement aujourd’hui diminuer leur engagement dans la crise vénézuélienne, puisqu’ils ont fort à faire avec la politique intérieure de leur propre pays, et ont des dossiers plus urgents à traiter. L’administration démocrate évaluera la situation au cas par cas, de manière très concrète et pragmatique tout le long d’un éventuel processus de négociation, en lien avec les exigences électorales de « midterm » américaines (2022), notamment en Floride.

Le Venezuela vit depuis huit ans une grave crise économique entre récession, pauvreté et inflation à laquelle vient s’ajouter la crise du Covid-19. Depuis mars, les Vénézuéliens connaissent une deuxième vague particulièrement forte de l’épidémie et les structures de santé ne semblent pas suffisantes pour la contenir. Le Venezuela va-t-il réussir à se relever de cette crise économique et sanitaire ? Réussir à trouver une solution entre Guaido et Maduro peut-il changer la donne ?

On sait comment le Venezuela peut remonter la pente et sortir progressivement de la crise économique dans laquelle il est. Premièrement, il faut que les mesures restrictives unilatérales américaines, qui asphyxient littéralement l’économie vénézuélienne et empêchent toute possibilité de relance de l’économie, soient levées. Deuxièmement, il faut qu’il y ait un accord politique a minima entre les acteurs de la crise pour sanctuariser certaines activités économiques et financières, permettant une relance progressive du pays. C’est le minimum, pouvoir commercer avec l’extérieur, accueillir des investissements étrangers, renégocier une dette colossale, etc. Troisièmement, il faut que cette économie soit, sur le moyen et long terme, moins uniquement dépendante de la ressource pétrolière et gazière, car cela soumet en permanence le Venezuela aux aléas de l’économie mondiale et aux demandes de ses principaux clients que sont les Chinois, les Russes, les Américains – avant la période de confrontation –, et cela constitue un défi pour ce pays qui doit modifier la matrice de son modèle économique. Pour cela, il faut évidemment que la situation politique soit aplanie.

Il reste donc beaucoup à faire pour que le Venezuela revienne à une situation de normalité dans un contexte pandémique qui l’affecte beaucoup plus qu’en 2020, tout en restant l’un des pays d’Amérique latine les moins touchés.
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